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Le Blog de JM 33500 - LiBoUrNe, HisToiRe d'En ParLeR
23 février 2007

L'ÉgliSe De L'ÉpiNette eT SeS AlenTourS

ChaPeLLe De L'ÉpiNette en 1865

Nous reproduisons ci-après une très intéressante notice qui a paru, en Septembre 1897, dans un journal de notre ville, sous le voile de l'anonyme. Ce travail avait pour auteur notre compatriote M. H. Vinson, le magistrat distingué, qui, en dehors de ses occupations professionnelles, s'était adonné avec tant de succès aux études de bibliographie et d'histoire. C'est d'ailleurs la dernière œuvre qui soit sortie de sa plume; il l'a écrite, un mois environ avant sa mort, dans cette propriété de sa famille où il était venu prendre une retraite studieuse, au milieu des souvenirs de son enfance et des affections de sa jeunesse.

L'an 799, Charlemagne était parvenu à l'apogée de sa puissance. Il avait toujours entretenu des relations utiles avec la papauté; à ce moment, le pape Léon III voyait sa situation menacée; il eut recours à Charlemagne, qui résolut d'aller à Rome pour lui venir en aide. Il s'y rendit avec ses principaux officiers et y convoqua un Concile ; Léon fut absous et put reconquérir toute son autorité.
Pour témoigner sa profonde reconnaissance, Léon imagina une superbe surprise.
Le jour de la fête de Saint Pierre, pendant que Charlemagne était en prière, il s'approcha du roi franc, lui mit le manteau de pourpre sur les épaules, la couronne d'or sur la tête et le proclama Empereur d'Occident. Peut-être le Monarque ne fut-il pas aussi surpris que le rapportent les Chroniques, et l'arrangement des choses fut-il un simple secret d'Etat. 

L'Empereur d'Occident, ainsi proclamé, fut amené à traiter avec l'Empereur d'Orient an sujet des limites de leurs empires. La grande autorité n'était pas du côté de l'Orient, aussi c'est de ce côté que vinrent vers Charlemagne les manifestations empressées et les hommages multipliés.
C'est à ce moment que se place l'envoi par le Patriarche de Jérusalem d'un clou du crucifiement, de plusieurs épines de la couronne du Calvaire et d'un fragment important de la croix du Golgotha. Comment ces reliques avaient-elles été trouvées, conservées, protégées? La légende pieuse proclame leur réalité et les foules heureuses s'en contentent.
Charlemagne, consacré Empereur d'Occident le 25 décembre 799, mourut le 28 janvier 814; c'est donc dans cet intervalle que se place ce magnifique envoi, probablement dans les premières années qui suivirent la délimitation des deux Empires.
On sait que le grand Empereur ne négligeait, dans ses voyages incessants, aucune partie de son vaste Empire. Il parcourut plusieurs fois l'Aquitaine et avait été frappé du parti stratégique qu'on pouvait tirer du tertre de Fronsac. 

Au confluent des deux rivières de l'Isle et de la Dordogne, à l'Est, se trouvait une agglomération populeuse qui possédait pour le culte un édifice sous le vocable du grand apôtre, d'abord incrédule, Thomas.

Les religieux qui le desservaient entrèrent, sans doute, dans les vues du grand Empereur et lui inspirèrent des sentiments préférés, car il crut devoir les gratifier d'un bienfait inestimable: il leur donna une des épines de la couronne du divin Supplicié. Plus tard, une Confrérie très respectée fut chargée de sa garde et du soin de ses exhibitions; ce fut la Confrérie privilégiée dite de Saint-Clair.

La Sainte-Épine: épine de la couronne du Christ donné par Charlemagne à l'Église Saint-Thomas (visible à l'Église Saint-Jean le jour du Patrimoine)

Les siècles s'écoulent; nous arrivons à Éléonore de Guienne (1122-1203). Quelle part eut-elle à la Chronique de l'Épine ? Nous tombons dans les obscurités et les probabilités de l'histoire.

Ce qui est vraisemblable, c'est que, dès cette époque, des trois chemins qui rayonnaient hors de Libourne, du côté opposé à la rivière : chemin de Condat, chemin de Saint-Émilion, chemin de Lyon (la route de Paris étant par Saint-André-de-Cubzac), e plus important et le plus fréquenté était certainement celui de Saint-Émilion.
La population s'accroissait au confluent des deux rivières et s'épandait sans cesse au dehors; à une époque inconnue fut bâtie sur la route de Saint-Émilion, à cinq ou six cents pas hors des murs de la ville, une chapelle modeste. On a voulu aussi y plaquer la légende obligatoire, le chêne, les colombes, les étoiles, la croix; mais cette légende n'a jamais été fort répandue et elle n'a point occupé la tradition.
Ce qui est plus probable, c'est qu'Éléonore de Guienne, devenue reine de France par son mariage avec Louis VII, dit le jeune, roi très pieux et très pratiquant, avait une manière de vivre que, par suite de son mariage ultérieur avec le roi d'Angleterre Henri II, on pouvait trouver un peu trop de flirt. Pour plaire à son jeune époux, pour bien se préparer à leur voyage en Terre Sainte, et peut-être aussi pour quelque mécontentement vis-à-vis des religieux de St Thomas, elle leur fit retirer l'Épine confiée à leur église et la fit déposer dans la chapelle jusqu'alors sans nom, désignée simplement comme chapelle de la Vierge, et qui commença à porter le nom de l'Épinette.
Éléonore, de retour de Jérusalem, ne satisfaisait plus son jeune époux, devenu plus sanctifié et plus rigoureux. Il obtint le divorce contre elle. Six semaines après, elle épousait Henri II, roi d'Angleterre, et lui apportait en dot la Guienne, la Gascogne, la Saintonge et le Poitou, dont elle avait hérité de son père, Guillaume X, dernier duc d’Aquitaine.

La Guienne devenue anglaise, les guerres dévastèrent la région ; le chemin de Saint-Emilion n'était pas sûre, l'Épine dût être rapportée dans l'église Saint Thomas. Les années s'écoulent, la ville est régulièrement reconstituée (1270). C'est une petite place forte avec tours, créneaux, poternes et fossés.

Avant de succéder à son père Édouard Ier, son fils fut le premier qui porta le nom de Prince de Galles; il aimait le séjour de la Guienne. Sa femme, la Princesse de Galles, se laissa aller à une préférence marquée pour la ville refaite par Édouard V ; elle fit rebâtir la chapelle de l'Épinette (1364), la fit consacrer solennellement par l'Archevêque de Bordeaux, Hélie de Bremont, lui conféra des revenus et lui attribua les bénéfices du Priourat.
Les Cordeliers de
Libourne desservirent la chapelle de l'Épinette, et l'abbé qui en était plus spécialement chargé portait le titre de Prieur de l'Épinette.

Cependant l'Épine n'avait pas été rapportée de l'église Saint Thomas à l'Épinette; elle n'y est jamais revenue et n'y est plus représentée que par un symbole, une image de pierre.
Chaque année, l'Épine était processionnellement transportée de l'église St Thomas à la chapelle de l'Épinette. Cette cérémonie, à laquelle le Maire et les Jurats assistaient, se faisait en grande pompe, au milieu d'une foule considérable.

Dans la suite des temps, elle fut suivie, en 1365, par Duguesclin ; en 1462, par le roi Louis XI et, en 1469, par Charles, frère dix Roi, qui fit faire pour l'Épine une jolie petite châsse en argent.
Cette châsse fut déposée aux archives de l'Hôtel de Ville et, par délibération des Jurats du
15 décembre 1505, le curé de Saint Jean, Minard
, en fut constitué gardien.
Mais cet office resta pour lui une sinécure, l'église St Thomas ne voulut jamais consentir à se séparer de la précieuse relique.
La chapelle de l'Épinette perdit peu à peu de sa vogue et de sa popularité. En 1563, pendant les guerres de la Réforme, elle fut absolument dévastée et pillée. Reconstituée quelques années plus tard, lors de la paix des cultes, elle continuait à être desservie par les religieux de Saint Thomas, et la Confrérie de Saint Clair se gardait bien d'oublier ses privilèges relatifs à la Sainte Épine. Pourtant, en 1609, le 5 avril, par ordre du cardinal de Sourdis, archevêque de Bordeaux, l'église Saint Thomas dut abandonner son précieux dépôt; l'Épine fut transportée processionnellement dans l'église paroissiale de Saint Jean et un procès-verbal détaillé en fut authentiquement dressé.

Mais la Confrérie de Saint Clair n'accepta pas ainsi sa dépossession; elle porta l'affaire devant le Parlement. Le Maire et les Jurats prirent parti pour Saint Jean. Le Parlement rendit un arrêt par lequel il décida que le jour de Saint Clair l'Épine serait portée à Saint Thomas et y resterait pendant trois jours offerte à la vénération des fidèles. Le Maire et les Jurats, en commémoration de cette attribution de possession intermittente, instituèrent une procession annuelle le premier dimanche de la Passion. L'itinéraire de cette procession nous a été conservé: elle sortait le matin de St Jean, prenait la petite rue Périgueux, passait sous le couvert de l'Hôtel de Ville, puis suivait la Grand'rue, la rue de Guîtres, la rue Saint Thomas, stationnait dans l'église Saint Thomas, traversait la place, reprenait la petite rue Périgueux et rentrait à Saint Jean.
L'Épine avait été placée dans une baie creusée dans le mur, près de l'autel, du côté de l'Évangile; trois clefs servaient à la fermeture de la baie, une pour le Maire, une autre pour le Curé de Saint Jean et la troisième pour le Syndic de la Confrérie de Saint Clair.

Privée de sa relique sacrée, à laquelle elle devait son nom, la chapelle de l'Épinette qui, jusque-là, avait été desservie par les religieux de Saint Thomas, fut, en 1609, par décision du cardinal de Sourdis, remise au clergé de Saint Jean, qui désormais en demeura chargé.
Mais elle n'était point négligée et continuait à être l'objet de pieuses offrandes. Cette même année 1609, par acte du 12 octobre, retenu par Ferrand, notaire à Libourne, Fortin Videau, sieur de la Valade, donne trente sous de rente annuelle à Saint Jean, à condition d'une grand'messe avec diacre et sous-diacre, le premier vendredi de l'année, au grand autel de l'Église, un Exaudiat pour la santé du Roi et un Libera devant la chaire, lieu où il était enseveli.

Le dix-huitième siècle se déroule ; la chapelle de l'Épinette n'a plus qu'une existence silencieuse et obscure, comme celle de ces peuples heureux qui n'ont pas d'histoire. Le 13 février 1790, un décret de l'Assemblée nationale abolit les ordres religieux et les églises deviennent propriété nationale. Au mois d'octobre 1793, les cloches de la chapelle, comme celles des autres églises, sont fondues pour être converties en canons et en monnaie de billon.

Le 21 septembre 1793, les magistrats municipaux de Libourne se transportent dans la chapelle de l'Épinette, appartenant à la nation, dit le procès-verbal, et en présence de la citoyenne veuve Peychès, gardienne de la chapelle, font l'inventaire du mobilier et des effets publics, lesdits effets, pour plus grande sûreté, ont été transportés dans le dépôt aux ci-devant Ursulines pour y être vendus avec les autres effets.
Dans le même temps, une autre Commission municipale, dont faisait partie le notaire Janeau (Noël), était chargée d'un mandat pareil à l'église Saint Jean.

Que se passa-t-il là alors ? Y eut-il débat, contestations, violence ? Quoi qu'il en soit, le brave notaire Janeau resta en possession de l'Épine qui, dans le désordre du moment, fut brisée par le milieu en deux fragments.

Après le rétablissement du culte par Bonaparte (15 mai 1801), Janeau voulut se décharger de la relique précieuse. Le 5 frimaire an XII (dimanche 27 novembre 1803), procès-verbal en forme fut dressé de la remise faite par le notaire Janeau, en présence des Administrateurs de l'église Saint Jean. Copie de ce procès-verbal fut envoyée à l'archevêque de Bordeaux d'Aviau du Bois de Sanzay, ce prélat savant et vénéré, dont le catéchisme fut seul autorisé pendant plus d'un demi-siècle, jusqu'au milieu de l'épiscopat du cardinal Donnet.
Les Administrateurs de Saint Jean firent placer l'Épine, dont les deux parties avaient été rejointes par une bandelette d'or, dans un reliquaire convenable et spécial.
Mgr d'Aviau ordonna une enquête, vint la présider au mois d'octobbre 1804 et fit constater l'authenticité de la relique. Il
prescrivit qu'elle serait portée processionnellement en ville les jours fériés de l'Église, Invention et Exaltation de la Croix, et le jour de la Saint Clair.
L'anneau d'or qui rejoignait les deux fragments de l'Épine avait été commandé à M. Pierre-Isidore Jalodin, habile joaillier-orfèvre, né à Montargis le 14 février 1785, décédé à Libourne le 20 mars 1868, marié le 19 avril 1808 et veuf, le 19 mars 1844, de Suzanne Peychès, dont nous avons retrouvé le nom lors du procès-verbal dressé à la chapelle de l'Épinette le 21 septembre 1793.

Depuis cette époque, l'Épine, qui n'avait jamais joui de la châsse princière que lui avait fait faire, en 1469, Charles, frère du roi de Louis XI, est restée obscurément dans le Trésor de l'église Saint Jean.

Ici entre en scène une personne dont nous devons parler, M. Paul Boutin qui est, avec le vénéré abbé Gabard, le véritable inventeur et promoteur de la résurrection de la chapelle de l'Épinette.
Le
14 janvier 1837, M. Paul Boutin resté veuf avec trois enfants, épousait en secondes noces Mlle Dorothée-Zélina Rougé, qui, devenue mère d'une fille, tomba, peu d'années après, gravement malade. Son mari fut conduit à chercher pour elle une résidence au grand air; un ami leur trouva une villa charmante, route de Montagne, appartenant à M. Viard, alors capitaine d'infanterie en activité, époux de Mlle Délezé, morte à quatre-vingt-douze ans le 25 novembre 1895. M. Viard, quand eut sonné pour lui l'âge de la retraite, vint s'installer dans sa villa et M. Paul Boutin dût chercher un autre lieu de villégiature.
Il le trouva dans une petite propriété, route de
Saint-Émilion, du même côté et à quelques mètres de l'ancienne chapelle de l'Épinette, propriété assez abandonnée, avec une maisonnette à rez-de-chaussée, fort mal entretenue; c'était une ruine neuve à côté de la ruine antique de la chapelle.
M. Paul Boutin s'y établit et en fit sa résidence habituelle favorite, tant à cause de la santé si compromise de sa femme, que pour se livrer librement à sa passion profonde de la chasse. Il s'en trouva si bien que, par acte sous-seing privé, enregistré le 22 janvier 1846, il en devint acquéreur d'un sieur Dupeyrat. Dès ce jour, la pensée maîtresse de sa vie, l'objectif constant de son activité, fut la réédification de la chapelle de l'Épinette. Quel fut son but réel, l'utilisation d'un voisinage important, les besoins de ses habitudes religieuses ? C’est un de ces secrets impénétrables de la conscience, où nul regard ne doit pénétrer.
L'état de santé de Mme P. Boutin s'était considérablement aggravé ; elle décéda le 25 décembre 1816. Le 17 janvier 1848, M. P. Boutin épousait en troisièmes noces Mme Irma Vinson, veuve P. Dordé, dont le domaine paternel se trouvait justement en face de la résidence de M. Boutin. Cette résidence, du reste, n'a nullement changé de forme, d'aspect et d'apparence; elle est restée identiquement la même et appartient aujourd'hui à M. Duperrieu, devenu adjudicataire après la mort de M. Boutin (24 mai 1876) à la barre du Tribunal, le 21 novembre 1876.
En 1853, M. Paul Boutin prenait à ferme le domaine de l'Épinette dont nous venons de parler...
Plus que jamais, M. Paul Boutin dirigea tous ses efforts vers les ruines de l'antique chapelle. Les visites, les conférences, les démarches devinrent incessantes avec M. Charriez, M. tabard, M. Chabannes, le cardinal Donnet. M. Gabard, curé de Saint-Ferdinand, dont la section de l'Épinette dépendait, s'intéressa beaucoup, et même très pécuniairement dit-on, à tous ces nombreux pourparlers.

Les héritiers David, avons-nous dit, étaient restés propriétaires des terrains et des restes de la chapelle. Par le partage intervenu entre eux devant Mme Brulle, le 25 septembre 1855, les derniers possesseurs étaient Françoise David, épouse Calamy et Marie Lande, veuve Jean David.
Le
5 mai 1856, M. Paul Boutin devenait acquéreur, devant Mme Dubreuilh-Bracher, de la part des héritiers David pour le prix de 4.500 fr, payé comptant.
Il s'agissait de réédifier la chapelle, œuvre considérable! Parmi les moyens d'action et de propagande, nous trouvons un habile ballon d'essai, inséré dans le Rosier de Marie, petit journal pieux, du 17 octobre 1863, un article très bien fait d'ailleurs et assez intéressant, signé Fanny Debuire; il se termine ainsi :
« L'Épinette est devenue un cellier; cependant, elle n'est pas dégradée au point de ne pouvoir être restaurée: Des constructions légères dissimulent seules les parties importantes de ce monument du Mille siècle qui mérite à tous égards d'être conservé. On nous affirmait, il y a peu de temps, que l'Administration diocésaine a l'intention de rendre la chapelle de l'Épinette à sa première destination; nous donnons pleinement notre assentiment à ce projet et nous ne doutons nullement que l'État d'abord et les vrais fidèles après l'État ne sempressent de seconder cette intention de haute piété. »
Fanny Debuire voulait dire M. Jecques-Bazile Délezé, ami intime et inséparable de M. Paul Boutin, né le 5 août 1786 à Libourne, où il est mort à quatre-vingt-dix ans, le 15 décembre 1876.

Quel avait été le bailleur de fonds? Aurait-ce pu être M. Boutin qui, père de quatre enfants, avait à supporter de lourdes charges de famille qui auraient rendu étrange un pareil sacrifice ? L'explication vraisemblable de cette situation se trouve dans le fait de deux actes passés devant le même notaire. Mme Dubreuil-Brachet, le 16 octobre 1868. Par l'un, M. P. Boutin fait donation pure et simple à M. l'abbé Gabard de ce qui avait été l'objet de son apparente acquisition du 5 mai 1856. Par un autre acte du même jour, M. Boutin vendait à M. Gabard à raison de deux francs le mètre, un terrain de forme rectangulaire, confinant aux terrains faisant l'objet de la donation précédemment faite, ayant 275 mètres 20 centimètres de superficie, pour le prix pavé comptant de 550 francs et 40 centimes. Cette coïncidence fait réfléchir et il ne serait pas impossible que la générosité dévouée de M. Gabard se soit donné ample carrière.

La reconstruction allait se faire, la chapelle allait ressusciter de ses ruines; les ouvriers étaient déjà à l'œuvre. Le 19 novembre 1868, le curé de Libourne vint en grande pompe étendre sa bénédiction sur les nouvelles constructions, et le dimanche 22 novembre 1868, le service religieux y était célébré et inauguré.
Ces petites réparations ne pouvaient être qu'un commencement. Le zèle de M. Gabard avait été couronné d'un succès grandissant toujours; il fallait un édifice spacieux et le 31 mars 1870 était posée la première pierre d'une nouvelle église plus appropriée aux besoins de la population; le 11 septembre 1875, le cardinal Donnet venait la visiter en personne et bénissait ses trois nefs.

Ce qui reste à exposer est presque contemporain. Un décret du Président de la République, du 23 janvier 1877, érigeait en succursale la nouvelle paroisse, et quelques gours après, M. l'abbé G. Moreau en était désigné comme desservant par le cardinal Donnet.
En 1886, la chapelle latérale des fonts baptismaux était édifiée et dotée d'un fort beau dallage.
En 1891, construction de l'abside et des sacristies, des voûtes, réparations et remise en état des parties anciennes des sculptures.
En mars 1896, commençaient les travaux du clocher ayant quarante-six mètres d'élévation et qui était terminé au mois d'octobre de la même année, grâce à la surveillance incessante et infatigable de M. l'abbé G. Moreau, qui a eu la joie, le 11 juillet 1897, de voir ses projets achevés recevoir la bénédiction de M. le vicaire général Berbiguier, ancien curé de Libourne.

L'ÉgliSe De L'ÉpiNette - 2007 L'ÉgliSe De L'ÉpiNette - Insciption sous le porche

L'ÉgliSe De L'ÉpiNette - Porte d'entrée

L'ÉgliSe De L'ÉpiNette - Intèrieur

M. Moreau peut être fier de son œuvre, si toutefois la fierté peut pénétrer dans un esprit actif, désintéressé, patient, modeste, persévérant et dont la conscience n'a eu qu'un but, la satisfaction de tous.
Mais ceux qui voient de loin, de tous les côtés de l'horizon, cette flèche blanche, élancée, légère, gracieuse, ne peuvent s'empêcher de remercier en leur âme le pieux promoteur de ce bel édifice.
M. Moreau avait trouvé comme une étable et une grange; ce sera son honneur et sa récompense de laisser une église, un superbe clocher, un monument, et à la fin des travaux, il a pu s'écrier avec le poète d'Athalie :

Quelle Jérusalem nouvelle
Sort du fond des déserts brillante de clarté !

Nous avons terminé ce résumé, peut-être trop long, de l'historique de la Sainte Épine et la chapelle de l'Épinette; peut-être pourtant ne lira-t-on pas encore sans quelque intérêt une rapide notice sur les choses et les hommes de la région.

Le 15 décembre 1818, le notaire Janeau (études Isambert, Vacher, Lewden, Ducasse, de La Crompe de la Boissière) dont nous avons cité l'heureuse intervention pour la conservation de l'Épine, annonçait par une affiche jaune que nous avons sous les yeux la vente en son étude, par adjudication à la chaleur des enchères, d'un domaine dit de l'Épinette, située dans la banlieue de Libourne.

Cette adjudication fut tranchée au profit d'un sieur Honoré Vinson, originaire d'Angoulême, dixième enfant sur dix-sept de Nicolas Vinson (La famille Vinson a joué un rôle important dans l'histoire de la ville d'Angoulême, depuis le XVe siècle. Les ancêtres directs d'Honoré Vinson, François Vinson de Beauregard et Guillaume Vinson de Fontorbière et La Chapelle, furent pairs et conseillers d'Angoulême) et qui était venu s'établir, aux approches de la Révolution, chez une tante, Marguerite Delalande, qui, elle-même, était venue d'Angoulême, au milieu du dernier siècle, se fixer à Libourne, où elle s'était rendue propriétaire, par suite de ses relations de parenté avec la famille Brachet.

Républiquain (sic) enthousiaste, comme l'étaient alors tous les jeunes hommes et comme il l'écrivait itérativement dans des lettres qui ont été publiées, Honoré Vinson prit part à plusieurs des grandes guerres de la République et de l'Empire, reçut en Espagne une blessure terrible qui mit sa vie en danger et dut borner sa carrière militaire ; il faisait partie de la 34 ème demi-brigade.

Désormais il habita définitivement Libourne, acquit le domaine de l'Épinette, puis, quelques années après, d'autres terres de M. Alezais et de M. Émile Leperche. Mort le 3 janvier 1847, M. H. Vinson eut pour successeur dans ses propriétés Mme Vinson, née Delalande, sa veuve.
Nous voyons apparaître ici
M. Paul Boutin dont nous avions dit que nous reparlerions et dont nous avons esquissé le rôle important au sujet de la restauration de la chapelle de l'Épinette.
M. Paul Boutin appartenait à une famille ancienne dont on retrouve les traces dans les archives dès le 09 juillet 1609 et qui, pendant plus de trois siècles, s'était persévéramment et honorablement livrée à la même industrie alimentaire. Cette famille si nombreuse et féconde semble avoir entièrement disparu de Libourne. M. Boutin avait quatre enfants, tous mariés dont il ne reste dans le pays aucun descendant. Son frère aîné, M. Simon Boutin, maire de Libourne, conseiller général, n'est plus représenté que par sa fille, belle-mère d'un général de division, inspecteur général de la cavalerie, qu'aucune attache spéciale, il semble, ne retient à Libourne. Nous avons suffisamment exposé l'influence exercée par M. Boutin sur les destinées de l'église de l'Épinette.

La façade de l'Église a pour aboutissants: au midi le chemin des Religieuses et le square ou carrefour formé par la route de Saint-Émilion, qui longe l'Église de l'est à l'ouest, et au nord la rue Honoré-Vinson.
Le terrain de ce carrefour, planté d'un joli bouquet d'arbres, entouré de maisons élégantes, doté d'une boîte aux lettres et d'un bureau de tabac, paraît avoir été donné à l'église elle-même par
M. Chaperon-Grangère
.
Nous allons passer rapidement en revue ces diverses voies.

La plus nouvelle, celle qui n'est pas encore intéressante et n'a pas d'histoire, est la rue Honoré-Vinson. En 1885, le propriétaire actuel du domaine de l'Épinette offrit à la Ville les terrains de deux rues, à la condition que ces deux voies porteraient, l'une le nom de son père, l'autre le nom de sa mère, qu'elles seraient pourvues d'éclairage et mises en bon état de viabilité.

La Ville accomplit régulièrement les deux dernières conditions. Mais la première ne marcha pas toute seule. Le Ministre de l'Intérieur demanda, au nom de règlements d'ordre supérieur, quels grands services avaient rendu ces deux personnes à la chose publique, quelle était leur grandeur historique. Le donateur fit observer qu'il n'avait été inspiré par aucun mobile de vanité résonnante, mais uniquement par un sentiment d'affection et de reconnaissance filiale. Le Ministre, convaincu, consentit et approuva.

Au-delà de l'Épinette, sur la route de Saint-Émilion, au Ruisseau-Vert, se trouve la demeure de l'énergique et infatigable collaborateur du grand œuvre de la réparation de la vieille chapelle, M. Moulinet. En face, on voit l'élégant et ravissant chalet à l'aspect seigneurial, avec sa haute tour crénelée, bâti par M. Combrouze, habité d'abord par M. Tristan de l'Hermitte. Nous avons parlé des visites du roi Louis XI à la chapelle de l'Épinette; était-il alors accompagné de son funèbre ministre, dont le lieutenant de dragons se croyait et se disait descendant ?

A l'extrémité sud du chemin des Religieuses, nous trouvons la demeure artistique de l'excellent et honorable capitaine des sapeurs-pompiers, M. E. Dupuis. En face, la délicieuse villa des anciens Gaston Lacaze, avec son bel appareil aérien élévatoire des eaux, ses magiques charmilles et son beau jardin, tracé au commencement de ce siècle par un architecte-décorateur parisien, aujourd'hui, propriété de M. Poitou, ancien conseiller général.

Puis vient un lavoir très fréquenté, qui donne du souci à la municipalité libournaise, et nous revenons au square dont nous venons de parler.
La voie la plus importante conduisant à l'Épinette est évidemment la route de
Saint-Émilion; nous suivrons son parcours depuis la ville.

A la sortie de la ville, vers Mandée, se trouvait à droite, près du mur de ville, une caserne ancienne en mauvais état, appelée de la Terrière (rue des Vieilles-Casernes, aujourd'hui rue Elisabeth-Gelly, du nom de la Sœur de Saint Vincent-de-Paul, bienfaitrice des pauvres et donatrice généreuse de la ville), dont la construction avait été autorisée par Tourny le 18 novembre 1757. La rue qui partait de la place de l'Hôtel-de-Ville s'appelait de la Terre (rue Périgueux, rue Gambetta) à cause d'un amoncellement de démolitions et de matériaux, formant un vaste monticule là où ont été bâtis la chapelle des Carmélites et le Haras. La nouvelle caserne de cavalerie, commencée en 1760, ne fut terminée par l'achèvement de la troisième aile que vers 1840.
En face la rue de la Terre commençait le chemin de
Mandée. Mandée était un tertre, une montée habitée par une agglomération de pauvres échoppes et de maisonnettes, surtout occupées par des tourneurs en chaises et des pailleuses ; tous travaillaient en plein air les trois quarts de l'année ; les chants et les cris joyeux y retentissaient sans cesse.
A l'entrée du chemin de
Mandée, à droite, sur l'emplacement de la maison Gragnon, se trouvait un vaste dépôt des fumiers de la garnison, appartenant à M. H. Moriac.
Toujours à droite, au bout du chemin de
Mandée
, avait été établie une modeste hôtellerie, que la création du chemin de fer a fait transformer en un vaste et magnifique hôtel de voyageurs.
A gauche, il ne reste des anciennes propriétés que la maison Penaud. Du même côté, en examinant les petits escaliers devant certaines maisons, on peut continuer par la pensée la déclivité de plus en plus forte, dont le point culminant se trouvait à l'endroit précis sur lequel a été construite la grande salle d'entrée de la gare.
Sous les fondations de l'hôtel Loubat passe le très beau et très solide aqueduc, dont le point de départ, situé en face du bureau de l'octroi, à l'Épinette, continuait la route, traversait la gare, passait devant la maison Duteuil, suivait la rue Gambetta jusqu'à la maison Jalodin, parcourait en biais la place et fournissait en abondance à la fontaine à quatre faces, qui se trouvait au milieu, cette eau pure, fraîche, limpide, salubre, irréprochable, qui, pendant plus de trois cents ans, a amplement satisfait à toutes les nécessités de la ville.

On sait qu'en 1854 les cabinets d'aisance de la gare ayant été construits au-dessus de cet aqueduc des infiltrations désastreuses se produisirent. Hippolyte Danglade, maire, fit aussitôt provisoirement fermer et condamner les quatre bouches de la fontaine de la place. M. Danglade espérait, mais sans réussir, pouvoir arranger toutes choses à l'amiable avec la Compagnie d'Orléans, comme le chemin dit Chaperon Grangère, la jonction des gares qui se fit à Coutras.

En s'éloignant du hameau de Mandée, toujours à droite, se trouvait la belle résidence de M. du Boscq, avec sa longue grille, ses beaux arbres de Judée et ses superbes orangers; il ne reste rien de cette demeure, située sur l'espace dont une partie est occupée par le bureau de l'octroi de la gare des marchandises.
La maison du
Boscq fut totalement démolie en 1853.

Nous arrivons au domaine de Beauregard, appartenant à M. Constant, père de M. François Constant, bienfaiteur de la ville. Acquis par M. Chaperon-Grangère, qui voulait créer une vaste exploitation en achetant à grand prix toutes les petites propriétés qui le séparaient de celle de M. Gaston Lacaze (M. Poitou), celui-ci devint maître de ce qui appartenait à M. Page-Lépine, dont la sœur, Mlle Désirée Page, tenait, sous le couvert de l'Hôtel-de-Ville, un bureau de tabac, le plus achalandé alors de Libourne, célèbre par la bonne grâce de la vendeuse et par le groupement qui s'y renouvelait sans cesse des anciens militaires et autres rentiers, qui agitaient indéfiniment les questions d'Etat, de guerre ou de paix et surtout la chronique des choses libournaises, politiques, commerciales et... scandaleuses.

Après la villa de M. Page venait, à l'angle du chemin des Religieuses, une autre propriété, appartenant à M. Viard, et aussi acquise par M. Chaperon-Grangère. Ce petit domaine avait appartenu à la famille Bouyer, famille respectée d'anciens magistrats, dont une descendante, Mlle Suzanne Bouver, fille de M. Jean Bouger et de Françoise Bourges-Saint-Genis, avait épousé, le 28 janvier 1816, le chef d'escadron Sylvestre Ubalde Piola. C'est à l'Épinette qu'était né, le 2 mars 1823, M. Albert Piola, ancien maire, l'une des notabilités les plus honorables de Libourne, décédé le 15 novembre 1891 dans son bel hôtel situé au coin de la rue Sainte Catherine et de la rue Président-Carnot; j'allais dire son palais, bâti vers 1820 pour le duc (alors comte) Decazes, Ministre de l'Intérieur, par un architecte et des artistes de Paris, sur l'emplacement même où avait habité son père Michel Decazes, Conseiller du Roi, Lieutenant particulier du Sénéchal et Président de Libourne, Procureur du Roi de l'Amirauté de Guienne, époux de Catherine Trigant.

En s'éloignant de Mandée, il n'y avait, du côté gauche, aucune habitation, aucune propriété qu'il y ait lieu de signaler. Sur le plateau culminant de Mandée était installée la corderie de M. Gurchy. De vastes chambres et hangars renfermaient les apparaux, outils, et les énormes torsades de chanvre, venues de Vendée, de Bretagne, de Russie surtout.

Les poteaux à râteliers sur lesquels tournaient les cordes en confection se prolongeaient jusqu'à l'Épinette. Que de fois un passant s'arrêtait devant ces vieux cordiers, marchant toujours à reculons, portant autour des reins une grosse ceinture de chanvre et répétant d'une voix monotone, par les grandes chaleurs, quelque chant patriotique, sous l'œil vigilant de M. Gurchy, membre (et non chevalier) de la Légion d'honneur, avec sa haute stature, son ample redingote, sa voix sonore, qui faisait fabriquer, à grand renfort d'innombrables torsions, ces énormes câbles pour les vaisseaux de guerre que les chaînes d'acier et de fer ont remplacés partout aujourd'hui. Le long de la route alors rien ne troublait les pauvres cordiers, sur tout leur parcours régnaient sans partage le silence, l'isolement et la paix.

Les choses, les lieux, les personnes, tout est bien changé. Le progrès, le luxe, le bien-être sont venus; faut-il regretter le passé? Ce serait un blasphème, mais il est bienséant de donner un souvenir pénétré et ému à ce qui est à jamais disparu, et à propos du chant des cordiers de l'Épinette, on se rappelle cette citation mélancolique de Chateaubriand, rencontrant près de Toulon un groupe de cordiers de la marine qui, cheminant lentement à reculons, répétaient en cadence la chanson attristée de Béranger, alors si populaire, du Vieux Caporal: "Un morveux d'officier m'outrage... Le vieux caporal doit mourir!"

Nous avons fait le tour de l'Épinette, le tour de bien des noms qui sont effacés ou qui s'effaceront, hélas! C’est la destinée fatale des choses humaines. Pourtant ces lignes seront lues peut-être par quelque esprit généreux qui verra, ce qui est vrai, qu'elles ont été écrites simplement avec la religion d'un passé respecté et le culte pieux du souvenir.

Hyacinthe VINSON.

L'ÉgliSe De L'ÉpiNette - HisToire (gauche)    L'ÉgliSe De L'ÉpiNette - HisToire (droite)

Plaques retraçant l'histoire de L'Église de l'Épinette
(situées à l'entrée du batiment)

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