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Le Blog de JM 33500 - LiBoUrNe, HisToiRe d'En ParLeR

21 janvier 2006

LeS FoRTiFicAtiOnS De LiBoUrNe

La majorité des vingt-deux témoins qui, entre le 16 décembre 1486 et le 03 janvier 1487, comparurent devant Bernard Tustal, conseiller du roi chargé de l'enquête sur les privilèges de Libourne, convint que celle-ci était "une belle ville", "de grande étendue", "fermée de murailles", lesquelles se trouvaient être "de grand circuit, de demi lieue française ou environ", et "de grand édifice". De la part d'habitants de Libourne comme de personnes originaires de villes et de régions voisines (Bordeaux, Sainte-Foy-la-Grande, Bergerac, La Réole, Limoges, Angoumois et Périgord) l'unanimité ainsi affichée devant l'officier royal n'était pas une attitude de façade, feinte pour la circonstance mais parait plutôt relever d'un sentiment largement partagé, attendu qu'il s'agissait pour eux "d'une chose vue et notoire".

Abritée derrière quelque 2200 mètres de murs, la bastide offrait l'aspect d'un polygone irrégulier de 800 mètres de long du nord au sud, depuis la tour de Grenouiller jusqu'à la porte Saint-Emilion, et de 600 mètres de large d'est en ouest, entre les portes de Périgueux et de Bédignon.

LiBoUrNe - Plan des fortifications 1459-1486

L'espace ainsi enclos couvrait environ 32 hectares. Considérée du point de vue du périmètre des murailles et de la surface intra muros, Libourne se situait loin derrière Bordeaux, dont l'enceinte du début du XIVe siècle, longue de plus de 5 500 mètres, entourait 170 hectares. Elle se plaçait en revanche nettement devant Bourg (17 ha), Bazas (15 ha), Sauveterre-de-Guyenne (13 ha) et Saint-Emilion (10 ha). Parmi les villes des diocèses de Bordeaux et de Bazas, seule La Réole la dépassait avec une troisième enceinte, construite au Xème siècle, longue de plus de 2 400 mètres et enserrant une superficie de l'ordre de 40 hectares.

 

I. UNE CLÔTURE TARDIVE ET INACHEVÉE À LA VEILLE DE LA GUERRE DE CENT ANS.


Jean-Paul Trabut-Cussac
a démontré, dans un article consacré à la construction des remparts de Libourne, que la bastide avait été fortifiée de façon tardive ("La construction des remparts de Libourne", dans Revue historique de Bordeaux, tome III, 1954, p.179-199). La charte de franchises octroyée en 1270 par le prince Édouard, lors de la fondation de la bastide, précisait les privilèges politiques et économiques accordés aux "bourgeois présents et à venir". Elle ne contenait en revanche aucune allusion relative à l'édification et à l'entretien des défenses. Au début des années 1280, alors que la ville neuve amorçait son essor, le maire et les jurats se préoccupèrent de la faire enclore. Ils s'adressèrent au roi-duc, mais n'obtinrent des subsides que le 04 juin 1289, date à laquelle Édouard 1er leur abandonna pour sept ans tous les revenus de la couronne ordinairement perçus dans la ville par le connétable de Bordeaux. Il s'agissait du produit des droits de douane, également appelés coutumes, prélevés par l'administration anglo-gasconne sur les marchandises qui, par l'Isle et la Dordogne, entraient dans le port de Libourne et en sortaient, ainsi que des cens acquittés chaque année par les détenteurs de parcelles bâties et non-bâties mouvant du roi-duc dans Libourne. Cet argent fut employé par la municipalité au pavage des rues et non à l'édification des défenses, de telle sorte qu'en 1292 le maire et les jurats sollicitèrent l'autorisation d'établir un octroi à l'entrée de la ville. Édouard 1er la leur accorda, le 15 juillet 1292, pour une durée de six ans.

 

A la fin du XIIIe siècle, Libourne restait une ville ouverte, ou du moins ses défenses n'étaient pas assez avancées pour lui éviter d'être prise et mise à mal par un parti français. Les faits nous sont connus de façon indirecte. Vers 1303-1305, les Libournais adressèrent une pétition à Édouard 1er, dans laquelle ils lui exposaient que la ville avait été détruite par les "ennemis, en temps de la guerre". Ces destructions furent le fait des Français, qui occupèrent le duché d'Aquitaine de 1294 à 1303. Jean Paul Trabut-Cussac les a situées au début de cette occupation. Il paraît plus vraisemblable de les placer après janvier 1303, date à laquelle les Bordelais donnèrent le signal d'une révolte qui contraignit les troupes du roi de France à évacuer précipitamment la plus grande partie du duché. La requête du maire et des jurats de Libourne priait Édouard 1er d'agir afin que ses "gents puissent plus sûrement... demeurer en la dite ville". Pour permettre le relèvement de la bastide, ils sollicitaient l'octroi de trois foires annuelles et l'exemption de tous péages dans l'Entre-Dordogne. Le roi-duc ordonna au sénéchal de Gascogne de faire droit à ces requêtes.

Édouard II succéda à son père en 1307. En 1311, le maire et les jurats, qui travaillaient toujours à l'édification des fortifications, profitèrent de la venue en Gascogne des deux enquêteurs royaux, le comte de Richmond et l'évêque de Norwich, pour rappeler les destructions commises par les Français. Ils sollicitèrent, en vain, une nouvelle aide financière. Les requêtes adressées en 1314 et en 1320 au roi-duc ou à ses représentants pour obtenir des subsides n'eurent aucune suite. Lorsqu'en 1324, le différend franco­-anglais à propos de Saint-Sardos fit peser sur le duché d'Aquitaine la menace d'une nouvelle attaque française, les Libournais s'alarmèrent. Les travaux de défense de la ville devaient cependant être suffisamment avancés pour que, comme l'a fait remarquer Jean-Paul Trabut-Cussac, Edmond de Kent, demi-frère d'Édouard II, que celui-ci avait dépêché en Aquitaine, approvisionne Libourne en hommes et en matériels, lui reconnaissant ainsi une valeur stratégique. Avec Blaye, Bourg, Fronsac, Saint-Emilion et Castillon, Libourne formait l'un des maillons d'une ligne de défense qui, étirée du nord-ouest vers le sud-est, le long de la Gironde et de la Dordogne, couvrait les abords septentrionaux de Bordeaux.

 L'alerte passée, les magistrats municipaux se préoccupèrent dès lors de disposer de ressources financières régulières leur permettant d'entretenir les fortifications déjà édifiées et d'achever l'ouvrage. Le 7 septembre 1330, le sénéchal de Gascogne, Jean de Haustede, qui avait été capitaine de la ville de 1324 à 1325, les autorisa à lever une taxe sur les marchandises vendues dans la ville. Comme le prévôt de Libourne leur contestait le droit d'utiliser les galets et le sable provenant du lest abandonné par les navires, ils en appelèrent à son supérieur hiérarchique, le sénéchal de Gascogne. Le 20 janvier 1331, Jean de Haustede confirma le maire et les jurats dans le droit d'employer les matériaux de délestage et interdit au prévôt de les en empêcher. Il dut renouveler cet ordre et menacer le prévôt de la suspension de son office, le 03 février 1331. Aux empêchements suscités par le prévôt royal s'ajoutèrent les embarras financiers inérants à des travaux coûteux, d'autant que les Libournais furent contraints de les activer suite au déclenchement de la guerre de Cent Ans. Le 16 mai 1340, le maire et les jurats ajournèrent le remboursement des dettes contractées par la ville "pour raison de la fortification de celle-ci". Directement menacée par l'offensive menée en 1338-1340 par le comte de l'Isle, lieutenant de Philippe VI en Guyenne,

Libourne, comme les autres villes du Bordelais, dut faire face à la situation par ses seuls moyens. Les troupes françaises échouèrent devant ses murs ainsi que devant ceux de Saint-Emilion. Édouard III, qui concentrait alors ses efforts militaires contre Philippe VI dans le nord du royaume de France, se décida à faire un geste. Le 22 juin 1341, il reconnut officiellement aux Libournais la libre disposition du lest pour la réparation des remparts et leur concéda la propriété des fossés et des arrière-fossés en dédommagement des sommes qu'ils avaient investies.

 Au milieu du XIVe siècle, les Libournais s'employaient encore édifier les défenses de la ville. Le 14 août 1346, ils obtinrent d'Henri de Lancastre, lieutenant d'Édouard III en Aquitaine, la confirmation du droit de lever des taxes sur les marchandises pénétrant dans la ville aussi longtemps que les fossés ne seraient pas remplis d'eau et les murs garnis de tours, de mâchicoulis et de barbacanes. Cette concession leur fut renouvelée le 10 décembre 1350, puis le 25 mai 1355. En dépit des efforts financiers consentis par la municipalité et de l'aide apportée par le roi-duc, certains secteurs restaient encore sommairement protégés au début du XVe siècle. L'un des témoins cités à comparaître en 1487, lors de l'enquête sur les privilèges de Libourne, déclara avoir "vu refaire plusieurs fois les dits fossés et réparer les murailles... (et) dans un quartier qui était de pieux les (avoir vu) refaire toutes neuves, et maintenant (il) y a une belle tour (et une) épaisse muraille". Il est vrai qu'il s'agissait de la partie de la ville adossée à la Dordogne et donc naturellement défendue par la rivière. Alors même que les fortifications n'étaient pas achevées, la municipalité dut entreprendre des réparations pour consolider ou relever les parties anciennes. Le 23 juillet 1389, Richard II fit don à la ville de 100 livres sterlings pour réparer 250 brasses de murs (environ 400 mètres) renversées en janvier par une"grande tempête et fortune de temps".

 Regardée, en raison de sa situation au nord-est du diocèse de Bordeaux, au confluent de l'Isle et de la Dordogne, comme "la clef et boulevard des pays de Périgord, Quercy, Limousin, Angoumois et autres pays circumvoisins", Libourne vit à plusieurs reprises paraître des troupes françaises sous ses murs au cours de la guerre de Cent Ans. La ville resta aux mains des gens du roi-duc lors de la première offensive, en 1337-1340. Le parti anglo-gascon fut moins heureux quarante ans plus tard. En 1377, le duc d'Anjou et Du Guesclin parvinrent à s'emparer de la bastide, après avoir ravagé les campagnes environnantes et détruit le château de Condat. En 1451 et en 1453, les capitaines de Charles VII s'empressèrent d'obtenir la reddition de Libourne avant de marcher sur Bordeaux. Ayant perdu tout espoir d'être secourus depuis l'Angleterre par Henri VI, les Libournais préférèrent les deux fois capituler devant un adversaire supérieur en nombre et en matériel, plutôt que de soutenir un siège dont l'issue ne pouvait que leur être défavorable.

 

II. LES FORTIFICATIONS DE LIBOURNE AU LENDEMAIN DE LA GUERRE DE CENT ANS.

 

L'enquête sur les privilèges de Libourne, en 1486-1487, donna lieu à un examen attentif de l'état des fortifications, motivé par le fait que la municipalité alléguait un coût d'entretien élevé. L'enquêteur royal, Bernard Tustat, vint lui-même à Libourne, le 02 janvier 1487, pour interroger des témoins et profita de l'occasion pour inspecter les murs. Il consigna ses observations par écrit dans le rapport de l'enquête. Toutefois, reconnaissant qu'il ne pouvait "bonnement extimer les fraiz et mises qu'il convient à la réparacion desdites murailles", il chargea Héliot Odin, maître maçon à Bordeaux, assisté par deux confrères de Saint-Junien en Limousin, d'une part d'évaluer le coût des réparations et des améliorations à apporter, et d'autre part d'estimer le montant des dépenses annuelles pour l'entretien courant des fortifications. Les trois hommes s'acquittèrent rapidement de leur tâche. Ils lui présentèrent leur rapport dès le lendemain. Leur déposition fut enregistrée au même titre que celle des autres témoins et versée au dossier de l'enquête. Le recoupement des données contenues dans ces deux procès-verbaux permet de restituer dans leurs grandes lignes les défenses de Libourne telles qu'elles se présentaient au lendemain de la guerre de Cent Ans. Une reconstitution plus précise doit cependant faire appel aux sources figurées modernes et contemporaines, ainsi qu'aux quelques vestiges des anciennes fortifications ayant échappé aux destructions.

 

1. Les portes

Concernant les portes de Libourne, le rapport de Bernard Tustal est de loin le plus détaillé. Il indique neuf entrées. Six d'entre elles, jugées plus importantes que les autres, sont qualifiées de "portails", alors que les trois autres sont simplement désignées comme des "portes". Sur ce total, trois des six portails et les trois portes donnaient accès à l'Isle et à la Dordogne, attestant la vocation portuaire de la bastide. Du côté de la "terre", Libourne communiquait avec la campagne seulement par trois portails (voir carte des fortifications vers 1459-1486 ci-dessus).

L'identification et la localisation des six portails ne posent aucun problème. Cinq d'entre eux se situaient au débouché des principales artères de la ville. Le grand portail de la mer, plus communément appelé par les Libournais porte du Grand Port, s'ouvrait face à la place formée par la rencontre de la rue des Chais avec la Grande Rue ou rue Saint-Emilion (En Bordelais on appelait "mer" la partie du cours de la Garonne et de la Dordogne où se faisait sentir l'effet de la marée montante, d'où le nom d'Entre-deux-Mers donné à la région occupant leur confluent.). Le portail Saint-Emilion marquaient l'extrémité opposée de cette même Grande Rue, au point de raccordement avec la rue Saint-Thomas. Les rues de Périgueux et de Guîtres aboutissaient du côté de la "terre" aux portails du même nom, tandis que la rue de la Font Neuve conduisait à la berge de la Dordogne par le portail Bédignon. Seul le portail Coffer était desservi par un axe secondaire, la modeste ruette des Chais. Sans doute percé tardivement, il devait son nom à Jean Coffer, maire de Libourne en 1343, et prit de l'importance du fait de sa situation au confluent de l'Isle et de la Dordogne (L'actuelle rue du Port-Coiffé correspond à l'ancienne rue des Chais et conserve sous une graphie totalement déformé le souvenir de l’ancienne porte Coffer).

Seul le portail du Grand Port, abandonné au XVIIe siècle au profit d'une nouvelle porte percée dans l'axe de la rue Saint-Emilion et longtemps englobé dans des maisons, a échappé à une destruction totale. L'accès à la ville se faisait par un passage voûté en arc brisé aménagé entre deux tours circulaires, la tour Édouard ou du Grand Port et la tour Richard ou tour Barrée.

LiBoUrNe - Dessin de la Tour du Grand Port

L'aspect architectural des autres portails est connu grâce à des textes, des plans et des gravures. Les trois qui s'ouvraient du côté de la "terre" étaient les plus solidement défendus: passage voûté aménagé au pied d'une tour et fermé par une porte à deux battants, accès extérieur protégé par un boulevard. Celui de Guîtres présentait une puissante base quadrangulaire surmontée d'une tour carrée coiffée d'un toit en pavillon. Un escalier latéral permettait d'accéder à la tour et, de celle-ci, au chemin de ronde des murs (voir dessins ci-dessous).

LiBoUrNe - Dessin de la Porte de Guîtres

Le portail de Périgueux devait présenter un système défensif analogue (voir dessin ci-dessous).

LiBoUrNe - Plan de la Porte de Périgueux

Le portail Saint-Emilion s'ouvrait à la base d'une imposante tour rectangulaire formant saillie en avant des murs. Celle-ci comportait deux étages et une plateforme sommitale avec créneaux et mâchicoulis, couverte par une toiture à quatre pans (voir dessin ci-dessous).

LiBoUrNe - Dessin de la Porte de Saint-Émilion

 

Nous sommes moins bien renseignés sur les défenses extérieures des trois portes ouvrant sur la campagne. L'existence d'ouvrages avancés est attestée dans l'enquête de 1486-1487 avec la mention de "boulevards" (Boulevard: ouvrage extérieur défendant l'accès d'une porte, appelé demi-lune au XVIe siècle). Un des dessins de J. de Weert représente les barbacanes commandant l'accès des portes de Guîtres et de Périgueux telles quelles se présentaient au début du XVIIe siècle.

LiBoUrNe - Dessins des fortifications 1612

Celle de la porte de Guîtres est visible sur le dessin de H. van der Herm (ci-dessous).

LiBoUrNe - Dessin au XVIIème siècle

En revanche, le plan dressé vers 1740 ne mentionne plus qu'un bastion triangulaire à l'entrée de la porte Saint-Emilion et une chicane en avant de celle de Périgueux (plan ci-dessous).

Plan de LiBoUrNe au XVIIIème siècle

(A.C. Libourne. BB 14, 5 avril 1729. Mention de la chute dune "petite voûte avec un mur qui était bâti au-dessus, à l'avant-porte ou demi-lune". Ibid., BB 16, 6 janvier 1732. Avis favorable de la municipalité aux propositions de l'architecte Alexis Tisseau relatives à "la démolition de vieux murs ruinés qui sont à la sortie de la porte de Périgueux, qui formait un ancien ravelin (demi-lune) ou boulevard". Ibid., BB 28, 14 mars 1758. Adjudication "à la moins dite... pour la démolition ou écrêtement des courtines des murs de la ville et des fortifications anciennes qui sont au-dehors de la porte Saint-Emilion"). L'Isle et la Dordogne protégeaient naturellement le flanc nord­-ouest de la ville.

Le portail Bédignon avait été percé à la base d'une tour ronde, défendue dans sa partie haute par des créneaux et des mâchicoulis (dessin ci-dessous).

LiBoUrNe - Dessin de la Porte Bédignon

Un escalier "situé dans la rue des Murs de la présente ville, joignant la tour de la porte Bédignon... (Servait) à monter dans la dite tour" (A.C. Libourne, BB 20, 16 juillet 1739. Délibération de la jurade relative au mauvais état de l'escalier de la tour de Bédignon). Le portail Coffert consistait, d'après les plans du XVIIIe siècle, en un simple passage aménagé dans l'épaisseur du mur de ville.

Parmi les trois portes permettant d'accéder au bord de l'Isle, seule la porte Salinière (ou des Salinières) est expressément nommée par Bernard Tustal et Héliot Odin. Libourne tenait des rois d'Angleterre le privilège de posséder un grenier à sel et le monopole du commerce de cette denrée depuis le Bec d'Ambés jusqu'à Bergerac. Les navires qui remontaient la Dordogne avec un chargement de sel avaient l'obligation de débarquer celui-ci à Libourne. Regroupé à un endroit précis du port afin d'en assurer une meilleure surveillance, ce trafic laissa son nom à la porte par laquelle le sel entrait dans la ville (Il existait éga1ement une porte et un quai des Salinières à Bordeaux qui, de la même manière que Libourne, détenait le monopole du trafic du sel sur la basse Garonne). Cette porte était située au bout de la rue Sainte-Catherine (A.C. Libourne, BB 18, 14 janvier 1737. Décision du maire et des jurats de proclamer les réparations à faire à la porte des Salinières "située au bout de la rue Sainte-Catherine, sur le bord de l'Isle"). La présence de deux autres portes nous est révélée par le seul rapport de Bernard Tustal. L'enquêteur royal situe l'une d'elles entre le grand portail de la mer et la porte Salinière. On peut donc penser qu'elle se trouvait au débouché de la rue Saint-Thomas. Les documents de la fin de l'époque moderne font état à cet endroit d'une porte dénommée Cavernière (La Cavernière était un coche d'eau qui, s'aidant du courant de flot et de jusant, effectuait la liaison entre Libourne et le port de Cavernes (paroisse de Saint-Loubès), à partir duquel les voyageurs gagnaient Bordeaux par voie de terre). L'autre porte, située entre la porte Salinière et la tour de Grenouiller, arborait lors du passage de Bernard Tustal une "image de Saint Jacques". Ce pourrait être la "porte Sainte-Cécile", au bout de la rue du même nom, dont il est fait mention dans un bail à loyer du 16 février 1522. Si l'on se réfère aux plans du XVIIIe siècle, la porte Cavemière s'ouvrait à la base d'une tour carrée formant saillie par rapport à la muraille, tandis que les portes situées à l'extrémité des rues Sainte-Catherine et Sainte-Cécile avaient, comme le portail du Grand Port, été simplement aménagées dans l'épaisseur du mur d'enceinte.

2. Les murs, les tours et les fossés

Les murs de Libourne ne nous sont pas à proprement parler décrits par Bernard Tustal ni par Héliot Odin. Il est seulement fait mention de leur état, plus ou moins bon selon les endroits. Du circuit des murs intégralement figuré sur le plan cadastral de 1818 il ne subsiste plus aujourd'hui que quelques pans de courtine. Les rares secteurs épargnés d'une destruction totale montrent, inégalement conservés, deux parements faits de pierres de taille soigneusement appareillées, liés par un blocage fait de matériaux hétérogènes (pierres, galets de lest) noyés dans un mortier grossier.

L'épaisseur des murs au niveau du sol actuel est de l'ordre de l mètre 50. La municipalité avait obtenu au XVIIIe siècle l'autorisation de l'intendant d'abattre le couronnement des murs, de sorte que les portions de remparts les mieux conservées n'atteignent plus que 12 mètres environ et s'arrêtent au niveau des mâchicoulis (A.C. Libourne, BB 30, 28 octobre 1757. Ordonnance du maréchal de Thomond autorisant les jurats à faire "abattre leurs murailles au-dessus du premier cordon, en leur laissant toujours du côté du fossé au moins 25 pieds d'élévation"). Les créneaux et le chemin de ronde ont disparu. Au moins pour ce qui est de la partie de la courtine située A l'est du portail Saint-Emilion, des archères avaient été percées à la base du mur. Des loges de guetteur pratiquées dans l'épaisseur du mur, à 2 mètres environ au-dessus du sol actuel, voûtées d'un arc en plein centre, permettaient de battre le pied des murs et les fossés.

Quelques tours renforçaient les murailles et assuraient de loin en loin leur flanquement. Héliot Odin ne fait allusion qu'à la tour de Grenouiller. Cette "tour carrée", précise Bernard Tustal, occupait l'angle nord du circuit de l'enceinte, en bordure de l'Isle. Sans doute contemporaine des tours surmontant les portails de Guîtres et de Périgueux son sommet avec créneaux et mâchicoulis était couvert d'un toit en pavillon (A.C. Libourne, DD 4, 16 février 1522. Bail à loyer par la municipalité d'une place vide "tirant de la porte qui regarde vers la tour de Grenouiller... qui à présent est carré, faite en forme de pavillon, couverte d'ardoise". Ibid., BB 19. 19 janvier 1740. Mention du mauvais état de la tour de Grenouiller "qui est sans charpente depuis plus d'un siècle, ce qui a causé que le mur d'icelle a péri et se gâte journellement, la pierre qui formait les créneaux étant en partie tomée et l'autre menaçant ruine"). Bernard Tustal mentionne également "la tour Neuve qui fait le coing d'entre les rivières de Dordogne et de l'Isle". Dans le registre d'arpentage de 1459 elle est dénommée "tour Dapcher", du nom du capitaine qui commandait alors la garnison de la ville (A.C. Libourne, CC l, fol. 6. Cette tour prit le nom de tour Gringalette à l'époque moderne - A.C. Libourne, BB 3, 27 mai 1669. Réparations à effectuer à la tour Neuve "autrement appelée Gringalette"). Les sources figurées la représentent comme une tour ronde, d'un modèle comparable à celui de la tour du portail Bédignon ou de la tour du Grand Port. Du portail Saint-Emilion à celui de Bédignon il n'existait aucune tour comme l'a noté Héliot Odin. En revanche, l'omission des quatre tours comprises entre le portail de Périgueux et celui de Saint-Emilion, tant par ce dernier que par Bernard Tustal, est surprenante. Une tour carrée, l'une des deux tours rondes et une tour semi-hexagonale ont disparu (A.C. Libourne, BB 22, 26 juin 1742. Mise en adjudication par le maire et les jurats d'un emplacement "pour y faire des jardins... situés dans les fossés et douves de la ville, à prendre depuis la porte Saint-Emilion jusqu'à la tour appelée de la Tarreyre, qui est entre la dite porte Saint-Emilion et celle de Périgueux". Cette tour de la Tarreyre est sans doute la tour semi-hexagonale proche de la porte de Périgueux, également appelée porte de la "Tarreyre"). Seule subsiste de nos jours une tour ronde, sans nom.

LiBoUrNe - Dessin de la Porte de Périgueux

LiBoUrNe - Identification des Tours

L'Isle et la Dordogne au nord et à l'ouest, ainsi que des fossés enveloppant les abords de la ville du côté de la "terre" complétaient les défenses de Libourne. Le préambule de l'enquête de 1493-1494, à la suite des exactions commises par la garnison de Fronsac, fait mention de "grandes fortifications de muraille et grans foussés". Deux ruisseaux, le Riouver au nord-est et le Lour au sud, s'écoulaient au pied des murs, le premier vers l'Isle et le second jusqu'à la Dordogne. Héliot Odin, constatant que la portion de muraille, de la porte Saint-Emilion à la porte Bédignon, n'était défendue par aucune tour, préconisa la construction de "deux moineaux de pierre" bâtis sur des piliers compte tenu du terrain marécageux. Il est possible de reconstituer approximativement l'emprise des fossés à l'aide des plans du XVIIIe siècle. Bien que comblés et lotis à partir des années 1790, leur tracé apparaît encore nettement sur le plan cadastral de 1818 entre les murs et les allées ceinturant la ville. Des arrière-fossés formaient une première ligne de défense en avant des fossés. Ils furent comblés les premiers, aux XVIIe et XVIIIe siècles, lors de l'aménagement des allées autour de Libourne. Aucun plan n'en n'a conservé le souvenir, si bien qu'il est impossible de les restituer avec certitude, sauf peut-être au sud-ouest de la ville où les allées Flamandes figurant sur le cadastre de 1818 pourraient être assez proches du développement initial des arrière-fossés. De même, sur le plan dressé vers 1740, les allées plantées d'arbres, qui bordent les fossés de la tour de Grenouiller à la porte de Périgueux, occupent en partie leur emplacement.

Enfin, à l'intérieur de Libourne, l'efficacité de la défense se trouvait renforcée par l'existence d'un chemin qui permettait de faire le tour du périmètre interne des murs. Plusieurs témoins interrogés sur ce point, en 1486-1487, firent une déclaration comparable à celle de Bertrand Lepiochel, lequel affirma que "au dedans de ladicte ville, le long des murailles, sans aucun destour, hier ou enpachement, un chescun peut aller à pied et à cheval et à charrettes". Appelé chemin ou rue des Murs, sauf de la tour de Grenouiller à la porte du Grand Port, où le nom de rue des Chais lui venait de la présence de nombreux entrepôts, il permettait aux défenseurs de se porter rapidement en tous points de la muraille en cas d'attaque. Le 22 juin 1341, Édouard III avait formellement interdit de construire près des murs et des tours pour des impératifs de défense. L'enquête de 1459 montre qu'un siècle plus tard cette interdiction était encore respectée.

3. L'entretien des fortifications

Au dire de Raymond Guinodie, les deux courts sièges que soutint Libourne en 1451 et en 1453 éprouvèrent durement ses fortifications (Histoire de Libourne tome1. p.74-80). Il s'est plu à relater les préparatifs des capitaines de Charles VII pour investir la ville. L'emplacement des pièces à feu de Jean Bureau et les dégâts qu'elles causèrent sont décrits avec un luxe de détails. De telles affirmations sont toutefois invérifiables et tout porte à croire que Raymond Guinodie a quelque peu embelli les faits. Non seulement il ne précise pas ses sources, contrairement aux autres faits d'armes qu'il rapporte, mais il convient lui­-même que les chroniqueurs français ne se sont nullement fait l'écho de ces sièges. Si l'on en croit Jean Chartier, Libourne se serait inclinée en 1451 devant la puissance de l'armée française, évitant ainsi un investissement par la force qui n'aurait pu que lui être préjudiciable: "Mondit seigneur le conte de Dunois, lieutenant, envoya mectre le siège par mer et par terre devant une place nommée Fronsac; ce qui arriva le second jour de juing... Et ce faict, vint en personne audit siège de Fronsac, et envoya en mesme temps ung hérault du roy pour sommer ceux de la ville de Libourne de eulx rendre. Après lesquelles sommacions ainsi faites, ceulx de la ville de Libourne ordonnèrent des principaux d'entre-eulx une quantité, lesquels ils envoyèrent avecques ledit hérault devers Monseigneur de Dunois afin de faire tractié et appointement pour tous les habitans d'icelle ville".

En 1453, les Libournais firent valoir leur bonne foi: "Depuis la réduction dudit lieu de Castillon, lesdits seigneurs conducteurs de l'ost du roy et commissaires en icelle partie en deslogèrent et partirent avec leur puissance, canons et aultre artillerie, et vindrent devant la ville de Sainct-Milion, laquelle aussitôt se mist en l'obéisssance du roy... D'iceluy lieu de Sainct-Milyon toute l'armée tira devant la ville de Libourne, laquelle n'avoit pas esté du gré des habitans d'icelle mise en l'obéissance et subjection des Anglois dessus dits; car, lorsque le sire Talbot arriva devant Bourdeaulx, on leur avoit baillé des François pour les garder, lesquels, quand ils sceurent la venue dudit Talbot, ces François qui estoient dedens en garnison désemparèrent de ladite ville, et fut de nécessité aux habitans d'icelle ville de se rendre ausdits Anglois, et obéir au susdit Talbot. Pour laquelle considération, en icelle dernière réduction ils ne furent en rien molestez, mais, au contraire, le roy les receut tout d'abord en sa bonne grâce".

Plutôt que les canons français en 1451 et 1453, les contemporains rendent, de façon plus prosaïque, la nature responsable de la dégradation des défenses. L'état des murs bordant l’Isle et la Dordogne fut jugé préoccupant en 1486-1487, au moment de l'enquête sur les privilèges de Libourne, "pour ce que ladjcte ville est posée bas et contre la mer, laquelle deschausse lesdictes murailles etfaict grands dommages". L'enquêteur français, Bernard Tustal, qui ne peut passer pour suspect d'exagération, a pu lui-même constater qu'en plusieurs endroits l'Isle et la Dordogne ont "démyné le pié desdites murailles". Le notaire libournais, Jehan Boinille, cité comme témoin le 1 er janvier 1487, est formel: "du costé de la mer, ladicte mer gaste lesdictes murailles". Plusieurs autres témoins incriminent eux aussi '1'impétuosité de la mer", laquelle "frappe contre les murs", et ainsi "mine et cave" la base des murailles. Du côté de la terre, le mauvais état des fossés et des boulevards est quant à lui attribué à la nature du sol. Pierre Gueyrard, marchand, originaire de Bergerac, expose, le 29 décembre 1486, que Libourne "est scittuée sur sable, lequel coule et ne peut bonnement tenir", nécessitant des réparations fréquentes apportées aux fossés. Ses dires sont corroborés par ceux d'un Bordelais, Bertrand Lepiochel, qui déclare pareillement que les fossés sont ensablés et "ne peuvent être entretenus sans grandes et continuelles réparations". De surcroît, il affirme avoir vu refaire les fossés à plusieurs reprises.

Les témoins interrogés en 1486-1487 évaluaient l'entretien des fortifications à environ 1000 livres tournois par an, estimation confirmée par le rapport des trois maçons désignés comme experts. Ces derniers proposèrent plusieurs améliorations: l'édification de murs de soutènement pour empêcher que l'Isle ne sape la base des murailles, le renforcement des boulevards destinés à protéger les portes, la construction de moineaux afin de couvrir les portions de courtine démunies de tour. Le montant de ces travaux s'élevait à plus de 44 000 livres tournois. Même si le roi de France avait consenti, le 27 janvier 1478, à abandonner à la municipalité le tiers des revenus du grenier à sel pour l'entretien des fortifications et les gages des officiers de la ville, celle-ci n'avait pas les moyens d'engager de telles dépenses. Ayant déjà du mal à faire face aux frais entraînés par les réparations courantes, on peut douter que le maire et les jurats aient disposé des fonds nécessaires pour entreprendre les travaux d'amélioration préconisés par Héliot Odin et ses deux confrères. Ainsi, en 1493-1494, les murailles et les fossés étaient-ils toujours considérés "de grans entretenement pour les sumptueuses (coûteuses) reparacions qui sont necessaires".

Retranchée à l'abri de ses 2200 mètres de murailles, Libourne prenait rang, tant par la valeur stratégique de son site et son étendue (32 hectares), que par son poids démographique et économique, parmi les villes closes les plus importantes du diocèse de Bordeaux. Par rapport aux autres centres urbains du Bordelais, développés à partir d'un noyau d'habitat antique (Bordeaux, Blaye) ou médiéval (Bourg, Saint-Emilion, Castillon, Saint-Macaire), Libourne portait inscrit dans sa topographie les signes distinctifs qui marquaient son appartenance à la grande famille des bastides: aménagement volontariste de l'espace urbain, plan orthogonal quadrillé structuré autour d'une place centrale, lotissement des îlots en parcelles régulières.

 

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17 janvier 2006

ReConsTiTuTioN dE La BaTaiLLe - 2005 -

ReConsTiTuTioN dE La BaTaiLLe - 2005 -

ReConsTiTuTioN dE La BaTaiLLe - Plaquette 2005

ReConsTiTuTioN dE La BaTaiLLe - Plaquette 2005

17 janvier 2006

DeuX TéMoins De La BaTaiLLe De CaStiLLoN

Le prieuré Saint-Florent

et son annexe Notre-Dame de Colles,

paroisse de Castillon, juridiction de Montravel

Il ne fait aucun doute que ces deux établissements des religieux de l'Ordre de Saint-Benoît furent témoins des actions principales de la bataille de Castillon.

Le premier, connu sous le nom de prieuré ou d'abbaye de Saint-Florent avait reçu une garnison qui formait l'avant-garde de l'armée française. Là 800 francs archers avaient été cantonnés (Jean Chartier, Histoire de Charles VII. p. 643).

N.-D. de Colles (Au cours des siècles, cette chapelle a toujours été connue sous le nom de N. D. de Colles, nous ne voyons aucune raison pour lui donner aujourd'hui celui de « Colly »), annexe du prieuré, était une chapelle située dans la plaine de Colles, d'où son nom. Cette Chapelle se trouvait aux abords immédiats du camp établi par les Français, et près de la rivière.

On connaît les détails de cette journée. Le combat commença par l'attaque du prieuré par l'armée anglaise et la retraite de la garnison. Les assaillants s'emparèrent d'un important butin et, disent les Chroniques, de 5 à 6 cuves de vin que les Anglais défoncèrent par un bout et qu'ils burent. On s'en doute bien, ces cuves n'étaient autres que des barriques. Le plus fort de la bataille se déroula à l'entrée et dans le camp même des Français et le corps du général Talbot tué au cours de l'action fut déposé dans la Chapelle N.-D. de Col1es. On pense qu'une inhumation provisoire eut lieu dans cet édifice, avant le transfert du corps à Falaise, puis à Withe-Church en Sussex. Les soldats de l'armée en déroute s'enfuirent de tous côtés. Certains se noyèrent en voulant traverser la Dordogne. C'est précisément à quelques pas et à l'est de la chapelle N.-D. de Colles qu'existait un gué pour traverser la rivière « le pas de Rauzan ». On s'était donc battu jusqu'aux abords de la chapelle. Ces deux édifices, s'ils existaient encore, seraient vraiment historiques au sens propre du mot. Nous devons nous contenter de les situer et de dire ce qu'ils étaient réellement.

En 1060, Olivier vicomte de Castillon fit venir des bénédictins de l'abbaye de Saint-Forent de Saumur. Il leur concéda un terrain hors les murs de l'enceinte fortifiée où ils édifièrent un couvent, une chapelle et quelques bâtiments d'exploitation. Tout cela existait encore au moment de la bataille de 1453, mais la ruine fut totale en 1588 (Guinodie, Hist. de Libourne, tome III, p.103). Le couvent ne fut jamais reconstruit et le prieur, tout en continuant à remplir ses fonctions administratives jusqu'à la révolution, n'habita plus les lieux. Les bâtiments d'exploitation semblent avoir été reconstruits les premiers et si la chapelle fut sans doute provisoirement aménagée, elle ne fut reconstruite que vers 1687. Le fait nous est rapporté par le procès-verbal de la cérémonie par laquelle elle fut ouverte au culte le 12 avril 1689. La lecture de l'Inventaire Sommaire des Archives Départementales laisse supposer qu'une nouvelle chapelle fut érigée à côté des ruines de l'ancienne. Il n'en est rien. Il suffit de lire le procès-verbal dressé par « maître Pierre Grossac, curé de Gardegan (On lit Gardigan) et vicaire forain de l'archiprêtre d'Entre-Dordogne et Isle » chargé de la cérémonie « nous aurions trouvé la dite église prieurale démolie... et que sur ses ruines d'icelle (a) ledit sieur Cribler y aurait fait bastir et construire une chapelle de pierre de taille couverte de tuiles creuses puis (depuis) deux ans ou environ... et estant ensuite entré dans la dite chapelle nouvellement bastie sur les susdites ruines avec le sieur Cribier nous l'avons trouvée entièrement bastie, couverte, carrelée et fermée d'une grande porte de bois de noyer avec son entrée nouvellement dressée sur les fondements de l'autre (b) de lad. ancienne esglise priorale, en quelque sorte qu'il ne reste plus qu'à mettre la pierre sacrée sur l'autel et bénir lad. chapelle dans laquelle ledit sieur Cribier nous dit vouloir être enterré en ladite en qualité de prieur... » (a, b. C’est nous qui soulignons)

Donc la chapelle des XVIIème et XVIIIème siècle s'élevait sur les fondations de celle qui avait vu l'assaut des troupes de Talbot. Sur un plan du XVIIIème siècle donnant l'ensemble de l'enclos du prieuré on voit 1e dessin de la chapelle simple nef rectangulaire avec porte d'entrée surmontée d'un pignon dans lequel était sans doute logée une cloche. Sur le profil de la nef on voit deux fenêtres, on sait par une note de 1756 qu'il y en avait quatre « pour griller les quatre vitraux de la chapelle du prieuré » (Arch. Dép., H 1133, liasse.). Où se trouvaient les chais et cuvier dans lesquels les soldats anglais avaient bu force rasades? Sur le même plan le cuvier, chai et maison du jardinier ferment, au sud, la cour dans laquelle s'élève la chapelle, nui doute qu'ils furent toujours à cet emplacement. Un passage dans le centre de ces constructions fait communiquer la cour de la chapelle avec un jardin limité par de belles allées en forme d'écusson, divisé en quatre parties par d'autres allées en forme de croix. Tout au tour du jardin s'étale un verger. Cet ensemble est limité au midi par « le grand chemin de Castillon à Villefranche » ; à l'ouest par un chemin de service puis par un chemin qui va au village de Lucas; au nord par un « chemin qui va du prieuré au grand chemin qui conduit de Castillon à Villefranche »: à l'est à des propriétés privées. (Arch. Dép. H 1145. plan).

En 1746 on rectifia et reconstruisit une portion de la route de Cas­tillon à Bergerac et pour cela on prit une bande de terrain dans l'enclos du prieuré « hors et près des murs de la ville » et plus à l'est une autre portion de terrain dans un domaine appelé le bois du prieuré complanté en vignes et arbres fruitiers. Le prieur dom Antoine Raynaud demande à l’Intendant de pouvoir récupérer au lieu et place, l'emplacement de l'ancien chemin. Le domaine dit « du bois du prieur » s'étendait jusqu'à la Lidoire. Les prieurs louaient le droit de pêche « depuis la porte de la Vergne jusqu'aux terres et bois du prieuré »

Ces précisions concordent pour placer l'ancien prieuré de Saint-Florent à l’emplacement occupé actuellement par la gare.

Il reste peu de vestiges de la chapelle de Notre-Dame de Colles, annexe du prieuré de Saint-Florent. Du moins quatre bornes en délimitent l'emplacement, une croix marque le lieu où aurait été inhumé Talbot. Sur une colonne on voit une statue moderne de la Vierge avec une inscription qui, à notre avis, perpétue deux erreurs : « En souvenir de l'antique sanctuaire de N.-D. de Coly qui, au lendemain de la bataille de Castillon prit le nom de N.-D. de la Victoire ». D'abord cette chapelle ne s'est jamais appelée Coly, mais bien Colles; ensuite aucun document ne nous a rapporté le nouveau nom de N.-D. de la Victoire. S'il y eut, chez les habitants de la région, un autre nom appliqué à la chapelle N.-D. de Colles c'est tout simplement celui de Talbot. La carte d'Etat-major s'est fait l'écho de cette tradition en s'inscrivant « chapelle du Talbot ». On y allait processionnellement le Jour de l'Assomption sous la direction du clergé de Castillon; les maires et jurats de cette ville y assistaient en grande cérémonie. Guinodie (Histoire de Libourne) dit, sans indiquer sa source, que cette procession avait été instituée par Charles VII en commémoration de la victoire remportée sur les Anglais.

N.-D. de Colles était déjà en ruines au XVIIIème siècle, ce qui n'empêchait pas du reste la procession traditionnelle d'avoir lieu. Dans un état des fiefs du prieur de Saint-Florent et parmi ceux de la plaine de Colles, on trouve « par exporte du ler Xbre l744 retenue par Verneuil Longa, notaire; M. Me Jean Roy, receveur au bureau de Castillon; sieur Jean Fougnet de Laussac comme mary de Mlle Jeanne Trapaud, et Anne Chaput, veuve de Pierre Dousset, chapelier, reconnaissent du Sieur prieur de Castillon de tout y celuy ténement appelé à la chapelle de Colles consistant en terres labourables où sont les masures de ladite chapelle située dans le territoire de la chapelle de N.-D. de Colles, paroisse de Castillon, juridiction de Montravel en Périgord, contenant 5 jx, 8 lattes, 2 carreaux, y compris le sol de ladite chapelle qui est de 6 carreaux, mesure de Castillon... (suivent les confrontations), au devoir de 2 deniers bourdelois d'exporle et de 12 deniers aussy bordelois de cens et rente à Noël et en outre le quint des fruits porté dans ledit prieuré... » (Arch. Dép. il 422.2. pièce n° 8).

Signalons que, pour la deuxième fois, nous trouvons dans les archives du prieuré de Saint-Florent, et à un siècle d'intervalle, un texte identique « N.-D. de Colles, paroisse de Castillon, juridiction de Montravel en Périgord. Cet état de chose dura jusqu'à la Révolution, ainsi que veut bien nous l'apprendra le registre baptistaire de la paroisse Saint-Symphorien de Castillon où nous trouvons à la date du 1er juin 1791. « La partie de Colles dépendante de tems immémorial de cette paroisse pour le spirituel, cesse d'en dépendre puisqu'elle se trouve au-delà de la Lidoire, ruisseau qui sépare le département de la Gironde de celui de la Dordogne. De là résulte que la procession qui se fait chaque année le jour de l'Ascension à la chapelle de Colles, pour remplir un ancien vœu de la ville, ne peut se faire sans passer dans un diocèse étranger et sans s'arrêter sur un champ devenu national et rentré dans la commune (de Lamothe-Montravel). La procession sortant de l'église passera désormais par le sol d'Aiguile, la Thuilière, le quai, entrera dans la ville par la porte du château et sortira par celle de la maison commune, d'où elle rentrera dans l'église » (inv. sommaire des Arch. Gde. E. supp. 4820 - G. - G. 7 reg.).

Il n'y a donc plus aucun doute que l'ancienne paroisse de Castillon ait englobé toute la plaine de Colles, s'étendant au delà de la Lidoire, dans la juridiction de Montravel. La bataille de juillet 1453 qui s'est déroulée entièrement sur le territoire de l'ancienne paroisse de Castillon, méritait bien son nom de bataille de Castillon.

J.A. GARDE

Extrait de la Revue S.H.A. du Libournais 1953 à 54 p. 45 à 48 

17 janvier 2006

Le MoNuMeNt deS FrèReS BuReaU

Le MoNuMeNt deS FrèReS BuReaU - 2006

Le MoNuMeNt deS FrèReS BuReaU - 2006

Le MoNuMeNt deS FrèReS BuReaU - 2006 Le MoNuMeNt deS FrèReS BuReaU - 2006

Situé au bord de la D936, ce monument a été érigé par l'architecte Henri Mollo sur l'initiative de l'union patriotique de la Gironde en 1888. Il rappelle la célèbre bataille de Castillon qui eut lieu à cet endroit le 17 juillet 1453.
Elle s'acheva par la victoire de la France sur l'Angleterre et mit un terme à la guerre de Cent Ans.
Jean Bureau qui fut l'instigateur de la victoire était Trésorier de France, Maître de l'Artillerie et maire de Bordeaux.

Les « Sept calibres de France » et les frères Bureau.
Désormais pour le roi de France, on ne ferait plus que des tubes destinés à lancer des boulets en fonte de fer de 2, 4, 8, 16, 32 et 64 livres. A la fin de la Guerre de Cent Ans, sous le règne de Charles VII, la période des tâtonnements de l’artillerie à feu naissante s’achève avec de notables progrès réalisés par les frères Bureau. Ceci permet à la France de disposer vers le milieu du XVème siècle d’une artillerie moderne et enfin efficace. La fonte de fer remplace le fer forgé pour la confection des bouches à feu. La fabrication est moins pénible, moins coûteuse. Malgré le prix élevé de l’étain, les qualités exceptionnelles du bronze finirent par s’imposer.

17 janvier 2006

SuR DeuX TroPhéeS De La BaTaiLLe De CaStiLLoN

1 - LA SAINTE-ÉPINE

Les textes qui nous sont parvenus sur le déroulement de la bataille de Castillon sont insuffisants et contradictoires. Si nous ne connaissions pas le désarroi provoqué en 1453 par le retentissement de la chute de Constantinople, nous pourrions taxer les historiens et les chroniqueurs dimprévoyance ou fie négligence; mais cet évènement, considérable dans l'Europe chrétienne, éclipsa alors le succès des armes françaises et ses conséquences imprévisibles.

Dans sa date même, la défaite anglaise comporte déjà l'incertitude. Certains la fixent au 13, d'autres au 17 juillet 1453.

Parmi les faits peu connus de cette mémorable journée et diversement racontés, il en est un qui, malgré son appartenance actuelle au Périgord, entre, par son origine, dans nos annales locales: c'est celui qui se rapporte à la découverte, en terre castillonnaise, d'une sainte relique, sur le cadavre du général Talbot. Ceci devrait justifier mon entrée insolite dans le domaine de nos voisins et amis de la Dordogne; mais ne savons-nous pas qu'ils soutiennent, avec quelque raison. D’ailleurs, que la bataille de Castillon fut la bataille de Lamothe-Montravel (M. Dujarric-Descombes, ancien vice-président de la Société H.A.de Périgueux: de 1848 à 1926 - Manuscrit des archives de Montréal). Pourtant, s'il est vrai que l'effort principal des combattants eût lieu dans le territoire de cette commune, n'est-il pas juste de reconnaître aussi que les premières escarmouches débutèrent en l'abbaye de Castillon et que la poursuite des vaincus ne s'arrêta qu'aux portes de Saint-Emilion (Guinodie - Histoire de Libourne, T. III, P. 50 - 2e édit.).  - En outre, militairement, l'objectif du combat était bien Castillon et positivement, c'était la bataille «pour» Castillon.). Au surplus, ce n'est pas seulement mon incursion en Dordogne que l'on devra me pardonner mais aussi la relation de faits déjà signalés et recueillis, pour la plupart, dans les fécondes publications de la société H.et A. du Périgord.

Cependant, en soulevant la trame légère de la légende, mon intention reste pure et ne tend qu'à faire connaître en Libournais, où elle est très peu répandue, l'histoire vraie de la sainte Epine de Talbot « our good dooge » (Talbot était d'origine française, il descendait de barons normands du pays de Caux. Il avait pour cognizance ou marque personnelle, un chien avec cette devise « Talbot our good dooge» (notre bon dogue) - Nlle biographie générale publiée par MM. Firmin Didot 1845).

J'ai pu, grâce au bienveillant accueil de Monsieur le Colonel marquis de Faubournet de Montferrand, et aussi à l'amicale serviabilité de notre distingué collègue, M. J. Ducasse, contempler ce gage sublime de la fin de la Guerre de Cent ans et recueillir, à Montréal, des renseignements et des impressions utiles à mon exposé.

J'ai, dès l'abord, été séduit par l'aspect extérieur de la chapelle où est conservée la glorieuse relique. Deux tourelles, dont l'une au toit pointu et l'autre au sommet tronqué, flanquent l'édifice principal, élevé en pignon, et impriment à cet ensemble, où se révèle l'éloquente entité des vieilles pierres, un rythme imposant de verticales contenu par celui des lignes brisées au symbole tragique. Rien n'est plus propre à nous reporter au soir de Castillon pendant que le grand maître de France. Jacques de Chabannes, partage les dépouilles du cadavre encore chaud du fameux général anglo-normand. Il est dit, qu'ayant envoyé le hausse-col du vaincu à Charles VII, il garda pour lui l'épée (dont il sera question par la suite) et qu'un reliquaire composé d'une croix d'or garnie de diamants enfermée dans une bourse de velours devint le lot du seigneur de Montréal, en Périgord.

La raison d'une telle faveur, envers un simple capitaine parmi tant d'autres, ne peut se trouver que dans le mérite déployé pour un haut fait.

Dans un manuscrit (Bibliothèque de M. Dujarric-Descombes.), Chevalier de Cablanc nous renseigne bien sur l'action elle-même, mais il commet une confusion dans les noms :

« Nos périgourdins, dit-il, suivirent très bien dans ceste occasion et la tradition nous apprend que ce ne fût point, comme le rapporte de P. Dupuy d'un coup de couleuvrine que Talbot périt, mais qu'il fut tué de la main du seigneur de Pombrian, lequel luy arracha la sainte Epine qu'il portait au col et laquelle est encore présentement dans le » château de Montréal qui estoit la demeure ordinaire des seigneurs de Pombrian, avant que M. Duchesne le lieutenant général d'à présent ne l'eut acquis d'eux ».

Or, le seigneur de Montréal, héros de Castillon, n'était pas Pontbriant, chevalier de Cablanc, qui écrivait au XVIIème siècle, a ignoré sans doute la teneur d'un acte de 1526 dont le passage suivant écartait toute incertitude:

« Iceluy, reliquaire, entre autres choses par le dit feu seigneur pries et apporté au dit château de Montréal, et, depuis y a demeuré clos et fermé sans scavoir ce qui était dedans. » (Le P. Dupuy signale l'existence de cet acte et M. de Montaigut en a publié le texte, suivi de la transcription incomplète, par suite de déchirures, d'un feuillet. de papier sans date. mais vraisemblablement d'origine fort ancienne et qui devait être le titre historique confirmant la prise de la sainte-Epine sur le corps de Talbot par le seigneur de Montréal - Bull. de la Société H. et A. du Périgord, T, XIX, p. 345 et 346).

Ledit « feu seigneur » était Michel de Peyronenc (M. Dujarrie-Descombes nous apprend encore que Montréal doit son origine à la famille de St-Astier. Au XVe siècle, Catherine, fille et héritière du dernier seigneur de ce nom, porta en se mariant Gérard de Peyronenc, seigneur de Loupiac, les biens de sa maison. Entre autres enfants, ils laissèrent Michel de Peyronenc, qui, aux terres de Loupiac et de Montréal joignit: celle de Verteil­lac et de la coseigneurie du Chapdeuil) qui tenait Montréal de son père. Il eut de son mariage avec Agnès de Las Tours, en 1483, une fille unique qui épousa, vers 1500, Pierre de Pontbriand, ce n'est donc qu'à partir de cette date que les Pontbriand purent devenir seigneurs de Montréal et en faire leur « demeure ordinaire ». L'erreur de Chevalier de Cablanc apparaît donc évidente. D'autre part, l'acte signalé ci-dessus était une convention entre Pierre de Pontbriand, gendre héritier, de Michel Peyronenc et Guillaume Sudiraut, curé d'Issac; il se rapportait au culte prévu pour la sainte-Epine qui venait d'être découverte dans la croix d'or garnie de diamants et avait été en­registré le 12 août 1526, par le notaire Lévêque. On objectera que ce serait bien peu de chose pour établir l'authenticité d'un fait historique, après 73 ans, et l'origine divine d'un objet à proposer à l'adoration des foules.

On doit se garder, toutefois, des oppositions trop hatives, se reporter aux coutumes anciennes, envisager la valabilité des déclarations de Pierre de Pontbriant devenu dépositaire, avec sa femme, des rapports de Michel de Peyronenc sur la provenance de la croix d'or et les raisons qui s'opposèrent à son ouverture, peut-être assujettie h un secret.

On sait que pendant plusieurs années après son mariage, Pierre de Pontbriant eut à faire valoir ses droits sur les terres de Montréal disputées par leurs habitants (elles comprenaient alors au moins huit domaines ou métairies) et qu'il s'adonna, en outre, à procurer satisfaction aux intérêts matériels de la population de sa paroisse. Ce ne fut qu'après ces réalisations qu'une inspiration soudaine lui permit de découvrir la sainte-Epine enchâssée dans son précieux trésor (Pierre de. Ponbriant fut page d'Odet d'Aydie, échanson de Ch. VII, sous gouverneur du comte d'Angoulême, gouverneur des châteaux de Molle, Niort, Fontenay le Cte, Bergerac et gentilhomme ordinaire de la chambre de François Ier (M. de Montaigut, ouvr. cité). On tiendra le plus grand compte de la relation faite par le P. Dupuy, un siècle plus tard, et qui jugea pièces en mains, puisqu'il eut l'avantage de compulser les archives du château.

« Noble Pierre de Pontbriant, conte-t-il, faisant ouvrir ce sacré reliquaire, croix d'or garnie de diamants, trouva dedans une épine et n'ayant assurance s'il fallait honorer, comme ayant servi à la Passion de Jésus-Christ, il consulta, sur ce double, notre évêque de Plaignie qui commit l'examen de cette affaire à son théologal Maimont, gardien du couvent de Saint-François, lequel dans sa consulte baillée par escript, répond qu'il fallait demander il Dieu des signes extraordinaire par jeusnes et prières publiques, afin qu'il luy pleut de déclarer en quel estat il voulait qu'on tint ceste épine.

Il est vraysemblable que dans l'essay faict, divers miracles parurent, car l'an 1526, noste évesque expédia un bref en faveur de » la transaction faite par le sieur de Pombrian, avec Sudiraut, curé de la paroisse d'Ayssac, déclarant, après plusieurs consultes, qu'on peut et doit honorer la sainte Epine, commandant de la porter processionnellement. J'ai vu l'original de ce rescript dans le thrésor du château  de Montréal. »

On peut regretter l'absence de l'énonciation des miracles qui motivèrent la décision de l'évêque, mais on connaît aussi la réserve apportée par l'Eglise en ces manifestations, ce qui permet d'accorder foi aux déclarations du F. Dupuy et de tenir sa documentation comme primordiale en cette affaire. On trouve, par ailleurs, dans l'annuaire pontifical catholique de 1911, de caractère officiel en matière religieuse, cette notation: Une sainte Epine est honorée dans le château de Montréal, paroisse d'Issac, elle fut retrouvée sur le général Talbot, tué à la bataille de Castillon, le 17 juillet 1453, avec des caractères d'authenticité tels, que l'évêque de Périgueux, Jean de Plaignie, en a autorisé le culte solennel en 1526 ».

Ainsi étayée, l'histoire du talisman de Talbot appelle notre crédit. Vénéré par les foules, honorées par les seigneurs de Montréal, nous le trouvons, après les Pontbriant, propriété des Duchesne en 1639 (par adjudication du domaine au prix de 131000 livres, la sainte Epine, faisant partie de la vente) (Les Duchesme de Montréal, par le doct. Ch. Lafon, président de la S.H.A.P. (Bull. de la S.H.A.P., T. LXVIII p. 433, renvoi 1) et hérité en 1752, par les Faubournet de Montferrand. A l'aube de l'année terrible, il fait l'objet d'une délibération municipale dont les termes mesurés cachent mal le profond respect qu'on lui portait encore :

« Nous, maire et officiers municipaux de la commune d'Issac, avons délibéré que, comme la relique de la sainte Epine est portée » sur le verbail qui a été fait à Montréal et dont Martial Ladhau est nanti, nous y envoyons un sergent de la garde nationale avec quatre hommes et le vicaire desservant, promettant de la garantir de tout a évènement et de la remettre au dit Montréal suivant l'usage. » Signés à Issac, le 21 mars 1792, Auberty, maire, etc... (Les registres de la commune d’Issac renferment aussi le P. V. suivant qui confirme le pillage et la destruction des archives de Montréal : 27 Brumaire an II; papiers du ci-devant seigneur de Montréal, apportés par ordre de la municipalité depuis le 23 octobre. Les papiers, ci-dessus ont été portés sur la place publique et brulés en présence de la municipalité et des citoyens assemblés ce même jour. Signé au registre, Jean Lespinasse, officier mpal., Anbertie, maire). »

Par la suite, Montréal, ce lieu spirituel, où s'unirent, dans la confiance en la protection divine et le souvenir des exploits glorieux, le patriotisme naissant et la foi médiévale, fut vendu à l'encan. Son mobilier dispersé, ses trésors pillés, ses propriétaires émigrés. Comment la Sainte-Epine fut-elle préservée du désastre, et par quelle intervention mystérieuse, la tourmente passée, redevint-elle le précieux ornement du château? Monsieur de Faubournet de Montferrand, avec son âme d'artiste, parle avec ferveur des temps écoulés. Il a bien voulu rappeler pour nous, les circonstances qui ont permis à l'inestimable relique de regagner le sanctuaire où elle fut placée voici cinq siècles et qui se résument ainsi « Après avoir été avec les autres meubles emmagasinée à Mussidan, comme bien national, la Sainte-Epine fut adroitement subtilisée par un nommé Crabanac, membre du district, neveu par alliance de l'abbé Lespine, ancien vicaire d'Issac. Ayant réussi, par de pieux mensonges, à justifier la disparition de cet objet, figurant à l'inventaire du château, sous la rubrique :

« Chasse contenant la relique de la sainte Epine dont l'étui nous a paru être en argent et les baguettes et couverture en cuivre. »

« Il le conserva jusqu'en 1836, époque à laquelle mon grand-père racheta le domaine. Son régisseur Antoine Lachau informé par M. Cra­banac du précieux dépôt qu'il détenait servit d'intermédiaire et remit au marquis la Sainte-Epine récupérée. »

Les Faubournet de Montferrand entreprirent alors les démarches utiles afin de rendre au prodigieux trésor l'authenticité de ses origines. Elles aboutirent, le 21 mai 1858, à l'obtention d'un Bref de Mgr. George Massonnais, évêque de Périgueux et de Sarlat, conçu en ces termes :

« Jean Baptiste Amédée George, par la miséricorde divine et la grâce du saint Siège apostolique, évêque de Périgueux et de Sarlat: Vu, la relation historique, à nous présentée et qui demeure annexée à la présente ordonnance, de laquelle relation il résulte que, dès les temps les plus reculés, une Sainte-Epine de l'adorable couronne de N. Seigneur Jésus-Christ était conservée et honorée au château de Montréal, paroisse d'Issac, dans notre diocèse.

Appréciant, comme de droit, les raisons et procès-verbal établissant que cette relique pieusement sauvée durant les troubles de la fin du siècle dernier est revenue en son premier lieu, mais privée dit titre par lequel Jean de Plaignie, ou Planis, de bonne mémoire, l'un de nos prédécesseurs, en autorisait le culte.

Ayant examiné la dite relique formée de deux fragments réunis par un fil rouge, placée dans une monstrance en argent, de forme carrée, ayant quatre côtés munis d'un verre, placée sur un pied imitant celui d'une petite custode et surmontée d'une petite croix laquelle nous avons attaché, par un fil rouge, notre sceau pour qu'elle ne puisse être ouverte, désormais.

Faisant aux termes du S. Concile de Trente (sess. XXV de vener, ss et imag.) ce qui nous paraît conforme à la vérité et à la piété.

Nous avons permis et permettons, par les présentes, d'honorer publiquement et d'exposer la sainte Relique, recommandant d'éviter à ces sujettes toutes superstitions et abus, et priant notre Sauveur de bénir tous ceux qui, en mémoire de sa divine Passion, vénéreront cette sainte Epine de sa couronne sacrée.

Donné à Périgueux, sous notre seing, notre sceau et le contre seing de notre secrétaire, le 21 mai 1858 : Jean, évêque de Périgueux et de Sarlat. (Jean-Baptiste Amédée George Massonnais évêque de Périgueux et de Sarlat du 21 février 1841 au 20 décembre 1860, neveu du cardinal de Cheverus, archevêque de Bordeaux, il rétablit 1a liturgie romaine en 1847, obtint la restauration de St-Front et transféra le grand séminaire de Sarlat à Périgueux. Ce fut un apôtre (abbé Texier, secrétaire général de .la Société historique d'Aunis el Saintonge). Par mandement de Monseigneur: Dubois, secrétaire.

En conséquence, le culte fut repris et continué de nos jours. Chaque année, le premier dimanche de septembre, la Saint-Epine est honorée publiquement, au cours d'une ostension et d'une procession.

Nous associant, en quelque sorte, à la solennité qui se déroule en ce moment, nous, qui demeurons soumis au mystérieux attrait des valeurs du passé, et qui célébrons le 5ème centenaire du mémorable combat, dans le lieu même où il se déroula, en Castillon-la-Bataille, si grande aujourd'hui, du mérite de nos pères, notre pensée s'élèvera, du coin de terre où il fut conquis, vers le trophée de Peyronenc.

Evoquant le paysage de pure essence périgourdine, où se dresse fièrement l'antique forteresse (En 1669, six prières de canon sur chevalet, six pièces sur roues. 40 arquebuses et 2 mousquets du cuivre défendaient les approches de Montréal), nous joindrons notre hommage à celui de la foule recueillie. De ce sommet rocheux, nos regards franchiront les horizons magiquement bleutés et, nous saluerons la mémoire du compagnon de Jacques Cartier, ce Pontbriant de Montréal qui, de sa courageuse aventure, attacha son nom à la naissance de la vaste cité canadienne du Saint-Laurent.

Et, empreints de la sereine beauté de ce site privilégié, nous exprimerons notre reconnaissance à ceux qui maintiennent, avec tin si noble souci, la pérennité glorieuse des exploits ancestraux et la grandeur de nos traditions.

2 – L’ÉPÉE

Dans son étude sur les seigneurs de Montréal, M. Dujarric­-Descombes (déjà cité dans mon exposé sur la sainte Epine de Talbot) ancien vice-président de la société H. A. du Périgord, ayant consulté l'histoire du Berry (III p.103) de Thaumas de la Thaumassière et le nobiliaire du Limousin de Nadaud (I. p.647), nous dit que l'épée de Talbot se voyait encore à la fin du XVIIIème siècle, au château de Madic, résidence de la puissante famille de Chabannes, à 30 km, de Mauriac en Cantal. Ceci paraîtrait acceptable, puisque nous avons vu le vainqueur de Castillon s'attribuer l'arme de son ennemi malheureux lors du partage de ses dépouilles; mais il faut demeurer très circonspect à ce sujet, car plusieurs autres récits viennent réfuter cette possibilité.

MM. Firmin Didot frères (nouvelle biographie générale 1845) ont trouvé que cette épée fut réclamée, sous le règne d'Elisabeth, par le comte de Shrewsbury descendant de Talbot. Le manque de détails et de références de ce texte, ne permet pas de conclure avec certitude; mais on peut penser qu'il fait suite à la découverte de la fameuse flamberge au XVIème siècle, par un paysan qui la trouva dans la Dordogne », raconte notre distingué collègue, M. R. Cousté (journal Sud-ouest du 9 août 1952), au risque de rendre invraisemblable la lecture de l'inscription gravée sur cette lame. « Chez un villageois de Castillon disant l'avoir gardé de tout temps », écrit Elie Vinet, le célèbre professeur de Michel Montaigne, en 1582, dans une lettre qu'on croit avoir été destinée à l'un des magistrats composant la Chambre de Justice en Guyenne tenant alors, à Agen, sa deuxième session.

Voici la partie principale de cette correspondance, tirée, des Archives de la Gironde T. XII p. 360.

« Monsieur, je vous ai rescript que Paulus Diaconus n'estoit ni chez les libraires, ni en mon étude, et, en mesmes lettres, vous ai faict mention d'une authentique antiquité que j'ai vueue en cette ville despuis qu'en avez esté parti, laquelle je désirois que vissiez à vostre retour que je désire estre bref je ne vous disois autre chose d'icéle, mais j'ai despuis pensé que je pourroie avoir mal faict en cet advertissement et que le désir et l'envie de bien tost scavoir que c'est vous pourrait endommager la rate, pour le long séjour qu’il vous faut fère de pardela, et, davantage, que n'estes asseuré de nous revoir : comme M. de Thou s'en est retourné à Paris par autre voie, et, à cette » cause, j'ai esté d'avis de vous compter ici toutes telles nouvelles de ladite antiquité, que verriès, quand i series. Et voici que c'est : Ayezvous pas ouï parler de Castillon, au-dessus de Libourne, et du lieu prochain où les Anglais furent jadis fouétés par noz François? Ne vous a-t-on point dit qu’aux maretz et bords de la Dordogne, de cette part, se trouve encores aujourd'hui force os d'hommes et de chevaux, et prou d'outils de guerre? Un armurier de cette ville, huit ou dix ans i a (il me l'a compté) à une foire de Castillon, acheta une rapière toute mangée de roulle, d'un villageois qui se dizoit, l'avoir gardée de touts  temps. Cest ouvrier pensa bien que c'estoit quelque bonne chose. Ti la fourbit et la rendit belle et luisante et la garde pour l'antiquité.

Elle a près de trois pieds de long; de large vers la poignée: quatre dois, et au milieu, tant d'ung costé que d'autre, cete escriture contenant le nom de son premier maistre, et ce en deus randhes :

SVM TALABOTI MTIII" XLIII
PRO VINCERE INIMICO MEC

Voila pas donques Talbot, Talebot, Talabot, capitaine anglais qui mourut à cete meslée, l'an 1453, disans, après le coutelas forgé : « Qui non potuit vineere inimico » comme 1'avoit promis, mais il n'î a remède. Bordeaux ce 14 novembre 1582: Elie Vinet. »

La qualité de l'auteur, l'un des personnages les plus en vue de Guyenne au XVIème siècle, pour ses travaux littéraires, scientifiques ou critiques, ne permet pas de contester la véracité du fait. Toutefois des objections sérieuses se sont élevées, à propos du texte en mauvais latin qu'il a transcrit, sans en relever le barbarisme.

Dernièrement encore, M. l'abbé Texier, l'érudit secrétaire général de la société historique de Saintes, déclarait :

« Cette inscription paraît inauthentique, même ù la fin du moyen âge on ne parlait pas un si mauvais latin. Il y avait l'expression stéréotypée en liturgie, en diplomatique, en littérature : «  ad effugandum ini­micum ». « Pro vincere inimico méo » est indéfendable. »

Notre collègue, le docte historien, Jean Ducasse, suppose que le mauvais état de conservation de l'arme a fait disparaître les « s » de inimicas méos.

A cette conjecture, s'oppose assez fortement Elie Vinet lui-même, constatant d'abord :

« Cette (même) escriture, tant d'ung costé que d'autre. » et parodiant ensuite, avec sa fine ironie : «  Qui non potuit vineere inimico, comme l'avait promis. » permettant ainsi d'admettre que rien ne lui échappa, ni de la grossière irrégularité des termes employés, ni de leur orgueilleuse prétention.

Il n'en reste pas moins que des deux épées qui furent présentée comme ayant appartenu à Talbot, celle de Madic ou celle de Bordeaux, l'une, au moins, était apocryphe, et qu'il est difficile aujourd'hui d'établir l'authenticité indiscutable de l'autre.

A. Courty, le 06 sept 1953.

Extrait de la Revue S.H.A. du Libournais 1953 à 54 p. 37 à 44

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17 janvier 2006

Le LiVRe d'HeURes De TaLBoT *

Talbot, l'un des plus fameux guerriers du XVème siècle, le plus illustre des adversaires de Jeanne d'Arc, celui auquel Shakespeare a accordé le surnom d'Achille anglais, octogénaire tué à la tête de ses troupes sous les murs de Castillon en 1453 par une bande de Bretons (1), possédait un livre d'heures de format allongé 0,27 x 0,115 prouvant qu'il était destiné à être porté par son propriétaire dans ses campagnes.
Talbot Ier comte de Shewsburg descend de Sir Gilbert Talbot, Lord Chamberlain d'Edouard III en 1331, décédé en 1346.
Ce volume (2) de 136 feuillets est orné de 26 miniatures de diverses dimensions. Dans les 6 premiers, on remarque beaucoup de noms de saints anglais: saint Cuthbert, saint Richard, saint Dunstan, saint Edme, saint Alban, 1er martyr d'Angleterre, sainte Etheldride, sainte Cuthburge, sainte Edithe et saint Hugues, évêque de Lincoln. Le verso du feuillet suivant est entièrement occupé par une grande composition qui constate la provenance illustre de ce volume ; une miniature qui couvre la moitié de cette page représente la Sainte Vierge assise sur un trône peint en rouge sur un fond damier. Devant elle sont agenouillés, à gauche Jean Talbot, assisté par son patron guerrier saint Georges qui terrasse le dragon; à droite Marguerite de Beauchamp, seconde femme de Talbot, assistée par sainte Marguerite, accompagnée aussi d'un dragon à face humaine. Talbot armé de toutes pièces, est vêtu d'une cotte armoiriée; son épouse porte un large manteau de drap d'or; une pièce d'étoffe rouge, disposée sur sa tête en guise de hennin, et dont les bouts retombent jusqu'à terre, lui sert de coiffure. Au-dessous de cette peinture, figurent les armoiries et les devises des deux époux:

Sous Talbot est une bannière déployée avec ses armes : Parti : au 1er écartelé de Talbot et de Strange; au 2e écartelé de Furnival et de Verden ; sur le tout : écartelé de Lisle et de Tyes. Talbot était en effet seigneur de Furnival et de Verdon du chef de sa première femme Mathilde, fille de Thomas Nevill, et seigneur de Lisle et de Tyes du chef de sa seconde femme, Marguerite de Beauchamp, fille du comte de Warwick. La bannière déployée au-dessous du portrait de cette dernière est aux armes de sa maison. Chacune de ces bannières surmonte les insignes de l'ordre de la Jarretière, renfermant au centre le petit chien des Talbot sous Talbot, et l'ours de Warwick sous Warwick. Un pied de marguerites, autour duquel s'enroule une banderole avec cette devise: Mon seul désir (2 mots illisibles) est, passe entre les deux bannières. Dans le célèbre manuscrit offert par Talbot à Marguerite d'Anjou, épouse de Henri VI, manuscrit conservé au Musée britannique sous le nom de Shreusbury-Book, la devise de Talbot est exprimée dans ce rondeau commençant comme la devise de la banderole:

Mon seul désir
Au roy et vous
Et (este) bien servir
Jusqu'au mourir;
Ce sachent tous:
Mon seul désir
Leu roy et vous.

Ce manuscrit n'est bien homogène ni par les miniatures, ni par le texte : il est successivement en anglais et en français.
Ce livre de prières qui ne parait jamais l'avoir quitté, aura sans doute été pris dans le pillage qui suivit la déroute, car après quatre cents ans, il a reparu en 1855 chez un brocanteur de Nantes, d'où il passa dans la collection d'un bibliophile breton, gagna par la suite la signature d'un Henry de Bourbon. Après avoir figuré dans les vitrines de l'exposition rétrospective de 1867, il entra dans la célèbre bibliothèque de Firmin Didot et fut vendu à sa vente 18500 francs (2820,31€) en mai 1879 (3). 

W. LE MATTRE.

(*) Communication de M. LE MATTRE la séance du 7 avril 1957. Ayant interrogé notre collègue sur les différences que l’on pouvait relever entre cet article et celui publié par lui en novembre 1948 dans la petite revue libournaise Arc-en-ciel, M. Le Mattre nous a déclaré que ce premier article était « une fantaisie » en ajoutant : « Ce que je vous ai envoyé cette fois n'est pas une fantaisie. Je possède les différents catalogues des ventes de la Bibliothèque Firmin-Didot, catalogues très détaillés et c'est sur celui de la vente 1879 que j'ai copié quelques passages concernant les livres d'heures de Talbot... Pour l'origine de Talbot je l'ai pris dans mon peerage-book et je crois avoir écrit Chambellan en anglais ».
(1) Ce terme est extrait du catalogue Firmin Didot.
(2) Le catalogue le définit ainsi: « In folio étroit de 4 et 136 ff. miniatures, bordures et lettres ornées; ais de bois dépouillés de leur couverture. Précieux manuscrit sur Velin exécuté en France, dans la première moitié du XVème siècle, pour le célèbre général anglais Jean Talbot... »
(3) M. Le Mattre ignore comme nous le destin actuel de ce livre d'heures puisqu'il nous demande : « Quel est l'actuel possesseur du livre ? »

Extrait de la Revue S.H.A. du Libournais 1957 à 58 p. 81 à 82

17 janvier 2006

Le MoNuMeNt de TalBoT

Le souvenir qu'a laissé la bataille dans beaucoup de comptes rendus français est caractérisé par le fait que le seul monument sur le site est dédié au chef anglais tombé au combat, Talbot. La statue existante est à l'endroit même où une chapelle, "Notre-Dame de Talbot", avait été érigée par les Français peu après la bataille; elle fut appelée plus tard "Tombe de Talbot", et fut détruite pendant la Révolution. Au cours des années, les restes de Talbot furent déplacés. D'abord l'ensemble des restes à l'exception du crâne fut ré-enterré à Falaise (commune du Calvados, située au sud de Caen). Son crâne fut transporté en Angleterre, puis sir Gilbert Talbot ramena le reste de sa dépouille en 1493.

Le MoNuMeNt de TalBoT - 2006

Le MoNuMeNt de TalBoT - 2006  Le MoNuMeNt de TalBoT - 2006

Le MoNuMeNt de TalBoT - 2006

17 janvier 2006

La BaTaiLLe De CaStiLLoN

 

La BaTaiLLe De CaStiLLoN

 

17 juillet 1453.

Les Historiens sont d'accord pour reconnaître que la Bataille de Castillon (17 juillet 1453) termina la guerre de Cent Ans avec les Anglais. Pour l'homme de notre temps il reste à expliquer comment l'Aquitaine au Moyen-âge devint possession Anglaise et pourquoi dans ce conflit, qui opposa si longuement deux royaumes, les populations d'Aquitaine ont-elles soutenu la couronne anglaise.

Brièvement, nous allons tenter de répondre à cette double interrogation.

En 1137 mourait le dernier Duc d'Aquitaine. Sa fille Aliénor épousait Louis le Jeune, futur Roi de France, puis son mariage annulé (1152) elle épousait peu après Henri Plantagenêt, futur Roi d'Angleterre. Ainsi l'Aquitaine était-elle rattachée à la couronne Anglaise, qui devenait ainsi vassale du Roi de France. A la mort de Charles IV et en l'absence d'héritier mâle, Philippe de Valois, est nommé régent alors que le Roi d'Angleterre est écarté (1328, Loi Salique). Après divers incidents, le Roi de France saisit l'Aquitaine (en 1337) ouvrant ainsi un conflit qui se prolongera pendant plus d'un siècle.

Pour comprendre les sentiments des populations d'Aquitaine, il faut savoir que la longue domination anglaise n'apportera avec elle ni la misère, ni l'oppression. Au contraire les rois d'Angleterre accordèrent, avec des chartes de plus en plus libérales aux communes (à Castillon 1ère charte en 1359, 2éme en 1351) plus de facilités, plus d'autonomie. Ainsi les relations commerciales furent elles à la base des liens de plus en plus étroits, qui se tissèrent entre l'Aquitaine et le Couronne Anglaise.

 

LA GUERRE – La guerre ravagea notre pays qui fut bien près de sa perte. Après bien des revers un redressement s'opéra, en partie sous l'impulsion de Jeanne d'Arc, La Guyenne fut presque entièrement conquise par les Français, mais les exigences maladroites de Charles VII firent regretter à beaucoup la tutelle anglaise. Henri VI informé des sentiments des Aquitains, chargea John Talbot, comte de Shewsbury, au long passé glorieux de la reconquête. Au cours d'une rapide campagne, Bordeaux est repris le 23 octobre 1452 et Castillon se soumet aux Anglais. Les Français décident alors de contre-attaquer. Ils s'avancent par la vallée de la Dordogne et prennent Gensac le 08 juillet 1453. L'armée française avance vers Castillon, ville fortifiée, mais ne l’assiège, ni n'en force les défenses. Ce comportement des Français ne s'inscrit pas dans leur stratégie offensive qui leur a déjà permis d'emporter plusieurs places-­fortes (la dernière, Gensac, il y a quelques jours) - Leur objectif n'est sans doute plus de conquérir Castillon et la Guyenne, ville par ville. Il est de détruire l'armée anglaise de Talbot et l'anéantir et de régler ainsi en un unique engagement le sort de l'Aquitaine. Les frères Bureau connaissent Castillon et ses environs pour avoir avec l'armée de Penthièvre enlevé la place en 1451, à vrai dire sans grand combat. Il semble donc, que, connaissant les lieux, les frères Bureau aient voulu attirer l'armée de Talbot sur un emplacement dont ils connaissaient les avantages stratégiques. Et leur tactique fut couronnée de succès.

PRÉLÉMINAIRES DE LA BATAILLE - L'armée s'établit à 1,800 km à l'Est, dans la vallée, sur la rive droite de la Dordogne. Ellecomprend environ 10.000 hommes «de toutes les provinces», 1.800 lances, des francs-archers, une artillerie de 300 pièces diverses servis par 700 manœuvriers sous les ordres des frères Bureau. L'emplacement choisi présente d'incontestables avantages: au Nord, il s'adosse à la Lidoire, petite rivière aux rives escarpées, et dont le niveau pouvait être rapidement élevé par un barrage. A l'Ouest, au Sud et à l'Est, un long fossé l'entourait (1,600 km), de largeur (5 à 6 ml, de profondeur (4 m environ) suffisantes à décourager l'assaillant. Réalisé en 3 jours, selon des considérations tactiques que n'aurait pas désavouées Vauban, il présentait des sinuosités, des indentations permettant des feux croisés. Protégé par un talus, renforcé de troncs d'arbres, il allait présenter des problèmes redoutables à la cavalerie anglaise. Ainsi réalisé, le camp avait 200 à 300 m du Nord au Sud et 600 m de l'Ouest à l'Est. Devant lui s'étendait sur 500 à 600 m la plaine de la Dordogne, rivière qu'on ne pouvait franchir qu'en un gué: le pas de Rauzan.

 

La BaTaiLLe De CaStiLLoN - Schéma

 

La BaTaiLLe De CaStiLLoN - Carte topographique 1:25000

Si l'ennemi venait du Nord, il se heurtait à la Lidoire, obstacle difficile à franchir, aux abords immédiats du camp. S'il venait de l'Ouest, il ne pouvait entièrement se déployer devant le front étroit de la place (200 m). S'il venait du Sud, le champ de bataille jusqu'à la Dordogne, se trouvait sous le feu de l'artillerie française.

L'attaque vint du Sud mais… nous n'en sommes pas là.

 

Le dispositif des français s'était complété par deux opérations:

1 - 700 hommes avaient occupé le prieuré de St-Florent au Nord-Ouest du camp.

2 - La cavalerie bretonne (240 lances) était remontée en réserve à Horable, à 1,500 km au Nord de la place.

 

Vue du ciel des champs de Bataille

 

Photo aérienné du champ de bataille de Castillon aujourd'hui, prise en direction de l'ouest.

La Dordogne est à gauche, Castillon-la Bataille en haut, une épaisse rangée d'arbres marque la Lidoire, juste à gauche de la route. On voit même une trace partielle des retranchements du camp français qui se révèle dans les limites de certains champs au centre de la photo.

(Photo figurant dans La victoire de Castillon de J. Barthe.)

LA BATAILLE - Averti par les Castil­lonnais de l'arrivée des Français, Talbot à Bordeaux, hésite, puis se décide à leur porter secours et part le 16 juillet vers 07 heures du matin. Il couche à Libourne et le matin du 17 juillet 1453 se dissimule dans les bois dominant le prieuré. Comme les Castillonnais le lui ont conseillé, il se précipite et bouscule la faible garnison de Saint-Florent. Celle-ci s'enfuit et s'efforce de rejoindre le camp. Mais la retraite est difficile : on suit le flanc du coteau dominant la rivière et après de sanglants corps à corps, les fuyards franchissant la petite rivière par un gué ou un pont provisoire, se retrouvent à l'intérieur du camp. Peut-être surpris par les difficultés auxquelles ils se heurtent les Anglais refluent sur le prieuré où ils vont se restaurer et se désaltérer en mettant en perce quelques futailles abandonnées par les Français. Talbot s'apprête à entendre la messe, lorsqu'on vient lui rapporter que les Français s'enfuient, abandonnant le camp retranché. De fait des nuages de poussière s'élèvent à l'Est, dans la plaine au-dessus de la position tenue par les Français. On saura plus tard, qu'il s'agit du retrait des pages et des bagages inutiles au combat. Talbot se laisse prendre à ces apparences, il n'hésite pas et se précipite avec les troupes dont il dispose afin de mettre en déroute les Français.

 

Les récits dont nous disposons soulignent le calme exemplaire de ces dernières, alors que les anglais s'approchaient des fossés. Vers le centre du dispositif de défense, se trouvait une indentation profonde et étroite coupée d'une barrière avec une porte servant vraisemblablement d'entrée du camp. Arrivant jusqu'à la contre-­Scarpe du fossé, les anglais essaient de planter l'étendard de Talbot sur un pieu de la barrière. Les Français s'y opposent. Mêlée confuse ! Et l'étendard roule dans le fossé. L'artillerie des Français a eu tout le temps de se préparer. Alors 300 pièces tirent à la fois. Carnage effrayant. Les assaillants sont pressés les uns contre les autres, ils ne peuvent ni s'échapper, ni se dissimuler. Courageusement les survivants se regroupent mais de nouvelles décharges jettent la débandade dans le camp assaillant. Alors les Français ouvrent les barrières et poursuivent les Anglais. Dans la mêlée qui s'ensuit, Talbot, dont la «haquenée» avait été tué par un boulet, est précipité à terre et tué par quelque archer. Au bruit de la canonnade, les Bretons en réserve à Horable (moulin) précipitent la déroute des Anglais. Les survivants (4000 morts au moins restèrent sur le champ de bataille !) s'enfuient, les uns en franchissant la Dordogne (mais beaucoup se noient), les autres en refluant vers l'Ouest (certains atteignent Saint-Émilion) d'autres enfin en s'abritant dans la place de Castillon. Refuge de courte durée ! En effet, le 18 juillet, les Français avancèrent quelques pièces d'artillerie sous les murs de Castillon; ce fut suffisant pour obtenir la reddition de la ville. C'est au château de Pressac, à St-Étienne-de-Lisse que fut signée la reddition des Anglais. Le corps de Talbot avait été reconnu par son «héraut». Ses restes furent déposés provisoirement à Notre­-Dame-de-Colle (voir article "Monument de Talbot"), sur le champ de bataille puis transportés en Angleterre et inhumés à Witchurch. Talbot disparu, toutes les places tenues par les Anglais capitulèrent rapidement, Bordeaux se rendit sans effusion de sang.

 

La BaTaiLLe De CaStiLLoN

 

Peinture de la Bataille de Castillon par Larivière,

montrant le moment où le cheval de Talbot tombe.

Ce tableau comporte des erreurs:

le comte ne portait pas d'armure; son cheval était blanc.
(Ce tableau se trouve au château de Versailles, dans la galerie des Batailles).

CONSÉQUENCES - Cette bataille scella le retrait définitif des Anglais et contribua à asseoir l'autorité du Roi de France. Mais pour l'Aquitaine, les conséquences ne furent pas toutes bénéfiques. Plus question de chartes au contenu libéral, plus question de «consentir» l'impôt. Tout un ensemble de conquêtes sur la voie de l'autonomie est remis en question et ne sera récupéré que partiellement et longtemps après. Les Castillonnais perdirent leurs privilèges; péniblement, il fallut les reconstituer. Ce n'est qu'en 1474 que Jean de Foix Candale leur accorda une charte dont les dispositions furent confirmées et élargies par Gaston II en 1487. D'autre part, cette défaite des Anglais bouleversa l'économie de la région. Les courants économiques qui avaient assuré pendant 2 siècles la prospérité de l'Aquitaine furent modifiés. Des ventes de vin à l'Angleterre, sans cesser complètement vont se réduire dangereusement, car ses rares transactions sont assorties de droits élevés et de mesquines vexations. L'exil volontaire ou imposé va aussi éclaircir les rangs des notables. Cependant quelques années plus tard, les exilés volontaires seront bien accueillis à leur retour. Certains retrouvèrent même les terres autrefois abandonnées.

Dans le domaine militaire, cette victoire, fruit d'une conception stratégique nouvelle, met en valeur le rôle important et effrayant de l'artillerie, l'action percutante de la cavalerie quand elle est utilisée au moment opportun. Les chevauchées souvent désordonnées, les volées de flèches, les combats individuels débordant de courage, sont impuissants et incapables de mettre le camp français en danger. Toute une conception moyenâgeuse de la guerre s’écroule et montre son insuffisance devant les nouvelles techniques et les nouvelles armes de guerre.

 

CONCLUSION - A cet évènement important et dont l'histoire conservera le souvenir, les Castillonnais, paradoxalement, n'ont pas pris part ou si peu! A l'abri de leurs murailles ils ont pu suivre les chevauchées, entendre le fracas de la canonnade, presque comme des témoins assistant à un drame dont ils ne pressentaient pas les lointaines et multiples répercussions.

12 janvier 2005

NoTiCe SuR CoNdAt

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NOTICE SUR CONDAT

Extraits  d’une notice rédigée par Monsieur l'Abbé LATOUR , publiée en 1895 

Cette notice n'est point une œuvre d'érudition, mais simplement une patiente compilation de tout ce qui a été écrit sur Condat et son pèlerinage. Jadis très renommé, ce pèlerinage, depuis sa récente restauration, devient plus cher que jamais aux habitants de Libourne et de tout le Libournais.

Souffrain, Guinaudie, Burgade et M. E. Piganeau se sont occupés de son importante histoire, et tout ce qu'ils en ont dit montre que ce sanctuaire des bords de la Dordogne n'est pas un des moins brillants fleurons de cette riche couronne de sanctuaires que le diocèse de Bordeaux possède en l'honneur de la Peine du ciel et de la terre. Et en effet, par son origine, ses éclatants miracles, sa splendide chapelle et le concours immense de pèlerins qui n’ont cessé de la fréquenter durant près de dix siècles, Condat tient sa place, et une place d'honneur, à côté de Verdelais, de Soulac, de Talence, d'Arcachon, de Lorette, de Montigaud, du Béquet et de Notre-Dame de Montuzet, près Blaye.

Le Père Jean-Emmanuel Drochon a parlé également de Condat dans son Histoire illustrée des pèlerinages français.

Mais, outre que ces travaux ne sont exempts ni de lacunes ni d'inexactitudes, quelques-uns sont loin de briller par la clarté de la narration.

C'est pourquoi, après avoir rectifié certains faits erronés, il nous a paru bon de grouper tous ceux qui étaient épars dans ces divers ouvrages, de façon à pouvoir présenter la légitime curiosité du public, dans une seule et même brochure, une monographie claire, exacte et complète de notre pèlerinage Libournais.

Tel a été le premier but de notre modeste travail.

Un second, que nous avions également à cœur, était de faire connaître et aimer davantage un sanctuaire où nos aïeux ont prié si souvent et où ils ont reçu tant de bénédictions. Nous étions persuadé que par là nous ne contribuerions pas peu au développement de ce pèlerinage qui, Dieu merci, prend de jour en jour une plus grande extension.

Puisse-t-il en être ainsi et daigne, en retour de notre humble labeur, au cours duquel nous avons goûté de bien douces joies, comme en goûte un fils quand il travaille pour sa mère, daigne Notre-Dame de Condat répandre sur notre ministère et sur notre paroisse les grâces les plus précieuses et les plus abondantes !

Notre Dame de Condat

CONDAT

Son origine, sa Seigneurie, son Château, sa Chapelle, ses Chapelains et ses Curés.

I

Condat, charmant bourg, d'environ 1200 habitants, au sud-est et à un kilomètre et demi de Libourne. Il est situé sur la rive droite de la Dordogne, à l'entrée d'une presqu'île formée par une immense courbe que la rivière décrit à cet endroit.

Ce n'est pas, comme l'ont pensé à tort quelques historiens, le Condat primitif dont parle en particulier notre poète Ausone, lorsqu'il écrit à son ami Théon : « Hâtes-vous de venir par eau, faites déployer vos voiles, le vent du Médoc vous portera chez moi; et de peur de fatiguer un corps aussi pesant que le vôtre, couchez-vous sur un lit que vous ferez mettre dans le couvert du bateau. Si vous faites diligence, si l'on rame lorsque le vent cessera, une marée vous portera de Domnoton au port de Condat; vous y trouverez une voiture attelée de mulets et bientôt vous arriverez à Lucaniac ». (5éme lettre à Théon.).

Ce Condat dont il est ici question et qui forma plus tard la ville de Libourne, était au confluent même de l'Isle et de la Dordogne et consistait en un port et un bourg habité, disent certains auteurs, par une colonie de Liburniens. Ce qui autorise cette assertion, c'est que le mot Candate, en langue celtique, veut dire confluent ; du reste, dans la paroisse qui porte actuellement le nom de Condat, on ne trouve aucune trace d'un port quelconque.
Notre Condat d'aujourd'hui tire son origine d'un château bâti par Guillaume le Pénitent, duc de Guyenne. Ce château fut appelé dès le début Castrum Condate, ou chastel de Comphuac, à cause de son voisinage avec le Condat des Liburniens, sur lequel, d'ailleurs, il exerça pendant de longues années une réelle suzeraineté. Le fameux prince Noir, fils d'Édouard III, roi d'Angleterre, data plusieurs de ses lettres de château.
Afin de ne pas confondre les deux Condat, on désigna souvent, dans les actes publics de l'époque, le plus ancien sous le nom de Condat-Lès­-Libournes. Ce n'est que quand celui-ci devint définitivement Libourne, que le château seul s'appela Condat et, après sa disparition, le nom demeura uniquement au village qui s'était formé peu à peu autour de ses murailles.

II

La Seigneurie de Condat était une des plus importantes de la Guyenne, puisqu'elle comprenait, non seulement la presqu'île dont nous avons parlé, mais encore tout le territoire qui s'étendait jusqu'à la Barbane, petit ruisseau qui prend sa source à Parsac et va se jeter dans l'Isle, à une lieue et demie environ de son embouchure, après avoir arrosé successivement les communes de Montagne, Néac, Lalande et les Billaux. Cette seigneurie appartint très longtemps aux rois d'Angleterre, et nous les voyons donner tour à tour les gros revenus qu'elle produisait, soit à des seigneurs Anglais, soit à des seigneurs Gascons qui leur étaient demeurés fidèles.

Ainsi Édouard III, le 30 juin 135l, assigne les revenus de cette seigneurie à Guillaume Amanieu ; le 20 septembre de la même année, il les fait passer à Bernard Ezin, seigneur d'Albret; le 1er avril 1411, Henry IV, roi d'Angleterre, les concède à Thomas Swinburne; son successeur, Henry V, les transmet, sept ans après, au sieur de la Barde ; après l'expulsion des Anglais, Henry IV les octroie à la jurade de Libourne et celle-ci cède, le 31 juillet 1627, au fameux duc d'Epernon, par acte passé devant Justian, notaire royal, moyennant la somme de 8,704 liv. 19 s. 6 d., le fief de Barbane, se réservant seulement celui de Condat; plus tard, le sieur de Calvimont, baron de Cros, seigneur de Montagne, le sieur Henry-Charles de Foix et de Condate, ainsi que le sieur Montrablan, de Saint-Emilion, furent successivement les fermiers du susdit fief de Barbane.

III

Le château de la seigneurie Condat et Barbane était situé très probablement sur le sol où se trouvent aujourd'hui la maison, le jardin et le vignoble de M. Ragot et la propriété de M. de Seguin. On peut s'en rendre facilement compte, si on observe d'un côté la proéminence centrale du terrain et de l'autre la déclivité prononcée qui l'entoure un peu de partout. Du reste, en fouillant chez M. de Seguin, on a mis a nu, il y a un certain nombre d'années, plusieurs toises de fortes murailles : c’étaient, à n'en pas douter, les fondations primitives du château. L'enceinte murée, dit Guinodie, devait s'étendre depuis le rivage, au couchant et au nord de la maison Ragaud, le long d'un grand chemin, qui n'est plus aujourd'hui qu'une route, jusqu'au canton appelé la Croix ; ensuite, tournant au midi, elle entourait par une chaussée assez élevée le bosquet dit l'Ormière, une partie d'un petit domaine en graves, la chapelle et se prolongeait ainsi jusqu'au couchant vers la rivière.

            Quelle était la forme de ce château ? Probablement celle d'une tour carrée, comme on en voit un exemple dans le château de St-Émilion.

            Ce château devait avoir bien des charmes et des agréments, car les rois d'Angleterre manquaient rarement de venir y passer quelques jours, toutes les fois qu'ils faisaient un voyage en Guyenne. C’était une sorte de villa de campagne qui leur plaisait extrêmement. Les chroniques de l'époque rapportent qu'Henry III y cuit en 1243; Édouard 1er y vint ­plusieurs fois; le sénéchal de Guyenne y tint plusieurs fois ses assises, ainsi qu'on peut le voir aux coutumes du ressort du Parlement de Guyenne; le prince Noir et la princesse de Galles, son épouse, y reçurent les rois de Castille et de Majorque en 1367 et leur firent des fêtes splendides.
En 1367, il servit de séjour ou plutôt de prison à l'illustre Du Guesclin, battu à Navarette, non loin de Logrogno, par Pierre le Cruel et le prince Noir. Du Guesclin en conserva rancune; aussi, ayant porté ses armes victorieuses dans les environs de Libourne, en 1377, il ruina en partie le château, témoin de sa captivité.

Richard II le fit réparer en 1394.

            Mais, après la bataille de Castillon, les soldats de Charles VII se portèrent sur Condat, et, cette fois, la forteresse féodale disparut pour toujours, sauf 1a chapelle, qui fut agrandie un peu plus tard et qui devint plus que jamais l'objet d'une grande vénération.

IV – Histoire et description de la chapelle – La statue de chêne.

Dans les dépendances du château des ducs de Guyenne et des rois d'Angleterre se trouvait, en effet, une chapelle dédiée à la Très-Sainte Vierge. Elle ne lui était pas tout à fait contiguë ni ne pouvait l'être, dit Guinodie, car les édifices militaires d'alors, bâtis sur un monticule, entourés de fossés profonds, ne supportaient guère sur leurs flancs une construction étrangère à leur destination. La chapelle était donc à une certaine distance en dehors des grandes murailles du château et servait à la fois aux châtelains, aux tenanciers, aux serfs et aux manants des environs.

Cette chapelle parait avoir été construite au XIe siècle, du moins dans la partie la plus ancienne, celle qui va de la porte d'entrée vers le sanctuaire. On peut s'en convaincre aux contreforts peu saillants et à quelques fenêtres à plein cintre qui ont été bouchées. Tout indique à l'origine une construction romane. Avait-elle une voûte en berceau ? Rien ne le laisse présumer. D'habitude même la plupart des églises ou des chapelles de cette époque étaient simplement lambrissé.
Plus petite dès le début, elle fut restaurée et agrandie dans la deuxième moitié du XV siècle, dit M. Pi­ganeau, probablement par les soins et sous les auspices de Charles de Berry, frère de Louis XI, alors gouverneur de Guyenne. Cette restauration et cet agrandissement ne peuvent avoir eu lieu avant la bataille de Castillon : on verrait autrement, dans la chapelle, les armes des rois d'Angleterre, tandis qu'on n'y trouve que des fleurs de lis et des écussons aux armes de France.

Voici la description de ce remarquable monument, telle que nous l'a donnée le savant et consciencieux archéologue dont nous venons de parler. Nous ne faisons qu'y ajouter quelques légers détails.

Disons auparavant qu'aucune travée n'a la même dimension; elles deviennent de plus en plus longues au fur et à mesure qu'elles se rapprochent du sanctuaire. Ainsi la première à 5,15 mètres de long; la deuxième 6,35 mètres; la troisième 6,50 mètres, et la quatrième 7,05 mètres. Ce détail, qu'on remarque dans la plupart des églises et des chapelles du moyen-âge, est admirablement reproduit ici. C'était un calcul voulu par les architectes de l'époque; de cette façon, par un heureux effet d'optique, de la porte d'entrée, toutes les travées paraissaient avoir les mêmes dimensions et la même longueur. Vers le fond, elle est inclinée également du côté du midi, selon l'habitude de l'époque, afin de rappeler Jésus mourant et laissant tomber sa tête sur sa poitrine, du côté du cœur.

Intérieur de l'Église - Voutes

La chapelle de Condat est formée d'une seule nef de 31,75 mètres de long sur 7,30 mètres de large. La voûte est divisée en cinq travées par des arcades ogivales en pierre. A chaque travée se croisent et s'entrecroisent des arcatures multipliées aux extrémités. A la dernière travée occidentale, la grande artère s'infléchit comme pour laisser place à un réduit d'escalier calier. C'est un vrai tour de force de combinaisons architecturales et d'équilibre dans cette partie de la voûte. Au point de jonction des nervures, on voit des écussons et des fleurons d'une grande richesse, ainsi que des figures d'anges accouplées et une troupe d'autres figures.

Au sanctuaire est le plus beau des fleurons; c'est un écu aux armes de France, avec fleurs de lis dorées sur fond d'azur; un autre écusson à droite montre un bâton en barre accompagné d'un croissant en chef et une étoile en pointe.

L'arc triomphal est, à la retombée de chaque lobe, orné de festons chargés d'animaux fantastiques, ceux de droite symbolisant les vertus, ceux de gauche symbolisant les vices. Au sommet de l'arc, un ange tient un étendard.

A la seconde travée, la clé de voûte forme un écusson à trois fleurs de lis surmonté d'une couronne ducale et soutenu par deux animaux fantastiques. Un troisième écusson aux armes de France, avec trois fleurs de lys, est soutenu par un ange.

La clé de voûte de la troisième travée, celle du milieu, montre la Vierge assise tenant l'Enfant Jésus sur ses genoux. Cette Vierge est semblable à celle qui est sur un socle à droite du sanctuaire. Tout autour deux banderoles paraissent contenir ou avoir contenu des inscriptions.

Sous la clé de la quatrième travée est un évêque ou archevêque, portant crosse et mître, peut-être l'archevêque de Bordeaux sous lequel la chapelle été reconstruite. Sur les côtés, deux motifs représentant, l'un deux anges adorateurs, l'autre deux personnages qui symbolisent le vice.

A la dernière travée, près de la porte d'entrée, la principale clé de voûte représente un Agnus Dei avec sa croix, deux autres contiennent des inscriptions en écriture cursive qu'il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, de déchiffrer.

Parmi les autres sculptures répandues à profusion dans tout l'édifice, on distingue un groupe, Adam et Eve prenant du fruit défendu à l'arbre autour duquel le serpent est enlacé, quatre fleurs de lis bout-à-bout, un buste de fou à oreilles d'âne, un homme buvant à une gourde, des feuillages, une chauve-souris soutenant une console, etc., etc.

Toutes ces sculptures, empreintes de la plus exquise délicatesse, font de la chapelle de Condat un bijou architectural du plus haut intérêt.

Jusqu'à la Révolution, la chapelle de Condat fut en grande vénération, à cause de la petite statue en bois de chêne qui se trouve dans une niche au-dessus du maitre autel.
Cette statue mesure 0,50 mètre de hauteur. La Sainte-Vierge est représentée debout tenant l'Enfant Jésus sur le bras gauche ; celui-ci portant le globe du monde repose ses pieds croisés dans la main droite de sa Mère. L'antique madone est peinte, robe rouge, manteau bleu semé de croix d'or. Ses cheveux noirs retombent tressés sur ses épaules et sur sa poitrine.

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On a eu vraiment tort, je ne sais à quelle époque, de la faire peindre et de la polychromée. Pourquoi n'avoir pas respecté ce qui fait le mérite de nos madones miraculeuses, ce qui nous les rend encore plus chères et plus vénérables, à savoir : cette noirceur qui atteste l'antiquité du culte qu'on leur a rendu ?
Essayez de peindre les vierges noires de Chartres, de Fourvières, du Puy, de Verdelais et de tant d'autres sanctuaires; essayez de les rajeunir ainsi, vous amoindrirez immédiatement la piété des fidèles et vous enlèverez à ces statues une grande partie de cette poésie et de ce charme qui s'attachent précisément à leur vétusté.

Cette statue, qui n'était primitivement qu'un tronc de chêne, fut trouvée, dit une pieuse légende dont nous ne voudrions pourtant pas garantir l'absolue authenticité, mais que nous nous plaisons à mentionner avec ce profond respect que méritent la plupart de nos traditions locales, dans les sillons d'un champ sur la paroisse de Saint-Emilion, où elle avait dû être cachée à l'époque des guerres de religion dans le dessein d'éviter un vol ou une profanation.
Reconnue plus tard pour être la madone de Con­dat, elle fut transportée et rendue au sanctuaire. La Vierge, sans doute peu flattée de cette prosaïque et trop simple restitution, revint dans son sillon une première, puis une seconde fois. Les religieux gardiens du sanctuaire comprirent alors que la statue miraculeuse réclamait plus d'honneurs et une intronisation plus solennelle. Elle fut en conséquence portée en procession et définitivement installée dans son sanctuaire.

Condat devint à partir de cette époque le rendez-­vous de pèlerinages plus nombreux que jamais.

Cette vénérable statue fut sauvée en 1793 par un vieillard, du nom de Saboureau, qui la fit emporter, cachée dans le tablier d'une petite fille, Anne Saint-Gaudin, épouse plus tard de François Marchand. Dans la suite, elle passa entre les mains d'un tonnelier, Jean Michelot, et échut finalement, à M. Jules-Pierre Beylot, qui la plaça dans sa chapelle particulière. Celui-ci en fit don en dernier lieu à M. Char­riez, alors curé de Libourne. Désireux de rétablir au plus tôt l'ancienne dévotion à Notre-Dame de Condat et ne pouvant sans doute, dans ce but, acquérir la vieille chapelle, ce zélé pasteur en bâtit une nouvelle sur un terrain concédé par la commune, près de la croix, et y déposa la statue miraculeuse pour l'intronisation de laquelle on fit une splendide cérémonie, le 10 mai 1844. Mais tout cela n'était que du provisoire, car la Providence réservait plus d'honneurs et plus de gloire à Notre-Dame de Condat.

Avant d'en parler, disons que dans l'église de Condat, à droite du sanctuaire, sur un gracieux piédestal, il y a une autre statue des plus vénérables et vraiment digne de l'attention, non seulement des pèlerins, mais encore des archéologues.
D'abord elle est en silex; c'est un énorme caillou, creux par derrière, que des mains patientes et habiles ont taillé par devant en forme de madone. Le trône sur lequel elle est assise est en pierre.

Cette madone, comme on en trouve peu certainement de ce genre, mesure 55 centimètres de hauteur. Elle est vêtue d'un costume rappelant le commencement du XVIe siècle et coiffée d'un diadème orné de festons et de pierreries simulés; elle a la chevelure pendante; de chaque côté de sa coiffure tombent des barbes ou bandeaux. Le cou est dégagé, le corsage échancré sur la gorge, un manteau bleu à larges rebords est orné de croix rayonnantes. Elle liant sur ses genoux l'Enfant Jésus qui porte dans ses mains la boule du monde; ce dernier est à moitié enveloppé d'un manteau vert. La chaise ou trône sur lequel est assise la Vierge est orné de moulures et peint couleur marron.

vierge

De quelle époque est-elle ? Quel est l'artiste qui l'a sculptée et ciselée ? Nous ne saurions le dire, les documents à ce sujet manquent absolument. Nous sommes heureux néanmoins de raconter son histoire à partir de la grande Révolution. C'est M. Saint-Jean, bisaïeul maternel de Mme veuve Lapeyrolerie, qui, pour la soustraire à toute profanation, l'emporta secrètement et la cacha dans un double mur de sa maison, sise rue Thiers (ancienne rue Saint-Emilion), en face du Tribunal civil (autrefois l'Hôtel de la Monnaie).
Les mauvais jours passés, la famille Saint-Jean tint à garder cette statue pour laquelle elle avait une particulière dévotion à raison de plusieurs grâces importantes qu'elle avait obtenues en la priant. Plus tard, et afin de répondre à la vénération dont elle était de plus en plus l'objet de la part d'une foule de fidèles, ont dût la placer sur un petit trône, au fond du palier d'un escalier toujours ouvert, et on venait un peu de partout porter des bouquets et faire brûler des cierges devant elle. Quand la chapelle de Condat fut rachetée, sur les instances de M. Dubuch et de M. l'abbé Chabannes, la précieuse madone fut gracieusement remise au vénéré pasteur de la paroisse par M. et Mme Lapeyrolerie, qui en étaient devenus, par héritage, les heureux possesseurs.
Durant le séjour de la madone dans les familles Saint-Jean, Micheau et Lapeyrolerie, un échafaudage s'effondra sur elle. C'est ce qui explique le bris d'une de ses mains, d'une partie de sa couronne et d'un bras de l'Enfant Jésus, détails qui ont été habilement réparés par un artiste.

Nous garantissons ces faits après une sérieuse enquête que nous avons tenu à faire.

Ces détails donnés, reprenons notre histoire au point où nous l'avions laissée.

A la grande Révolution, l'ancienne chapelle fut vendue comme bien national et achetée par les Mes­sieurs Piffon, qui la convertirent en cellier, après l'avoir entourée, à l'est, de grands bâtiments, qui englobaient son abside. La justice nous fait un devoir de dire ici que ces Messieurs eurent le bon esprit de la conserver dans son intégrité et de n'y laisser commettre aucune dégradation.

Chapelle de Condat vers 1865

C'est dans cet état que M. et Mme Albert Piola en firent l'acquisition le 8 octobre 1865 et l'offrirent immédiatement à M. l'abbé Chabannes, successeur de M. Charriez. Un ardent désir animait ces généreux donateurs, celui de voir le culte de la madone miraculeuse repris dans le sanctuaire même où elle avait manifesté, pendant de si longs siècles, sa puissance et sa miséricorde et de l'obliger ainsi à devenir plus que jamais la grande protectrice de Libourne et du Libournais. Nous nous rappellerons toujours avec émotion, dit M. Burgade, ces braves et pieux laboureurs des palus de Condat accourant tous à la voix de M. et Mme Piola, et, sans rétribution aucune, s'empressant de dégager des débris, des terres et des ronces ce vénérable monument qui, pendant plus de mille ans, avait entendu les vœux et les prières de leurs ancêtres.

Son Éminence le Cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux, procéda à la réouverture de la susdite chapelle, le 27 du même mois. Cette touchante cérémonie, malgré un temps affreux, avait attiré beaucoup de monde.
Aussitôt après cette prise de possession provisoire, on se mit à l'œuvre pour les travaux d'une complète restauration. La reconnaissance nous oblige à citer ici les familles Brisson et Raymond Fonte­moing. Par leurs larges offrandes, elles n'ont pas peu contribué à la restauration et à l'embellissement de ce monument, « une des plus gracieuses merveilles qu'ait produites cette époque où l'art ogival allait donner la main à la Renaissance », ainsi que le dit si gracieusement M. E. Piganeau.
Trois ans plus tard, quand les travaux de restauration furent totalement achevés, on fit l'inauguration solennelle de la chapelle. C'était le 8 décembre 1868, en la fête de l'Immaculée Conception. Voici ce que nous lisons à ce sujet dans le journal de M. Chabannes, journal tenu avec cette scrupuleuse et minutieuse exactitude qui dénote le bon Pasteur aimant avec passion les cimes et dévoré du zèle de la maison de Dieu : « MARDI, Fête de l'Immaculée Conception - Le mauvais temps empêche la procession. Chacun se rend à Condat comme il peut. La pluie ayant cessé, le Clergé et la Congrégation partent de la chapelle abandonnée et transportent la statue miraculeuse dans l'ancienne chapelle merveilleusement restaurée par les familles Piola, Fon­teoming et Brisson. La foule, au dedans et au dehors, est immense et profondément émue à l'aspect de la statue miraculeuse reprenant son ancien sanctuaire, M. le Curé la replace sur son trône, bénit la chapelle, fait une instruction et donne de justes éloges aux familles qui ont racheté la chapelle, et à celles qui ont conservé religieusement la statue pendant la grande Révolution. Puis il dit la messe et donne la communion à un bon nombre de fidèles. Pendant la messe, cantiques délicieusement exécutés. La fanfare des Écoles Chrétiennes a conduit et reconduit la procession.

A 2h30, vêpres avec affluence énorme. Fête très belle. »

Deux inscriptions sur marbre et placées dans le sanctuaire rappellent et perpétueront à travers les âges le souvenir des faits et des cérémonies dont nous venons de parler.
Sur la première, à gauche, nous lisons ce qui suit : « Notre-Dame de Condat, priez pour les bienfaiteurs de votre sanctuaire. Cette église a été restaurée par les familles Piola, Brisson, Fontemoing et les pieux Libournais. La statue miraculeuse sauvée par les époux Michelleau a été rendue par eux et par leurs enfants à la piété des fidèles. »

Sur la seconde, à droite : « Ce sanctuaire illustré par huit siècles de dévotion, fermé pendant 74 ans, racheté et offert à Son Éminence le Cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux, par M. Albert Piola, Che­valier de Saint-Grégoire le Grand, a été rendu au culte à la grande joie des fidèles, le 8 décembre 1868. »

On voyait jadis dans la chapelle de Condat un splendide autel du XVIe siècle surmonté d'un retable en bois sculpté et doré, offrande sans doute de quelque puissant seigneur et œuvre d'un artiste distingué. Guinodie nous en donne la très intéressante description qui suit :
Deux colonnes torses, ornées de guirlandes de fleurs, et de fruits encadraient cet autel; sur leur chapiteau, d'ordre composite, reposait un médaillon en forme de galbe. Dans son milieu, l'artiste avait représenté en relief le buste du Père Eternel, tenant de la main gauche la boule du monde. Au centre du retable régnait une niche pour Notre-Dame-de-Condat; sa voussure était chargée de fleurs et de fruits en relief et d'un travail achevé.
Au-dessous de la base de la niche deux médaillons montraient deux anges en demi-relief, aux visages candides, les ailes déployées, et ployant un genou en terre; leur pose était d'une grâce admirable; on regrettait qu'un peintre grossier les eût coloriés.
Deux autres médaillons plus grands captivaient l'attention : l'un à gauche et l'autre à droite de l'autel. Dans celui-là on reconnaissait l'ange de l'Annonciation : tout était d'une grande beauté chez lui, son visage, ses formes; ses membres étaient arrondis et souples, et, comme s'il n'avait pas assez de ses ailes pour l'approcher de la Vierge, le sculpteur l'avait placé mollement sur des nuées.

Dans celui-ci, c'était la Vierge agenouillée sur un prie-Dieu : son maintien était modeste; elle élevait les yeux vers le ciel et semblait écouter, dans le silence de la prière, l'avertissement de l'ange lui disant que d'elle naîtra le Sauveur du monde. Ces sculptures étaient en demi-relief et en bois de noyer, comme tout l'autel.

Le tout fut vendu en 1820 par MM. Piffon à M. Gui­raudeau, curé de Saint-Etienne-de-Lisse, pour la modique somme de 150 francs. Malheureusement on n'a pas su conserver cette œuvre d'art, on l'a remplacée par un autel moderne qui a sans doute sa valeur, mais M. Piganeau se plaint à juste titre d'en avoir vu les débris un peu partout dans l'église de cette paroisse.
Disons un mot maintenant des cérémonies qui s'accomplissaient autrefois dans le sanctuaire de Condat. Le lundi de Pâques, un grand concours de fidèles, venus de tout l'arrondissement et même de Bordeaux, se pressait dans la chapelle beaucoup trop petite pour la circonstance, les prêtres disaient les Évangiles et posaient l'étole sur la tête des pèlerins.
Puis, mais cela n'était pas précisément dans le programme de la fête religieuse, on se livrait à la danse, dit Guinodie, au son du tambour et du fifre, seuls instruments en usage dans les bals champêtres de cette époque et même longtemps après 89. Le jour de l'Annonciation, semblable cérémonie, durant laquelle l'église ne désemplissait pas.

On avait dans tout le pays de Guyenne une grande dévotion à Notre-Dame de Condat et il dût s'opérer par son intercession de nombreux et d'éclatants miracles, car on voyait, comme aujourd'hui à Lourdes et à Verdelais, appendus à ses murs et à ses voûtes des ex-voto de toutes sortes : bras, béquilles, jambes, tableaux et petits navires.
Lors de la peste de 1604, les Libournais, dit l'histoire de l'époque, visiblement gardés par leur puissante protectrice, firent de très riches offrandes à son sanctuaire.
Les marins de Libourne et ceux des différents ports de l'Isle et de la Dordogne ne pouvaient pas rester en arrière sous ce rapport. Eux aussi eurent toujours une confiance sans borne à Notre-Dame de Condat. Échappés au naufrage par son intervention, ils ne manquaient jamais de venir la remercier dans son sanctuaire. Guinodie rapporte à ce sujet un vœu accompli, en 1735, par des matelots libournais :

« Ils étaient au nombre de dix-sept, avant leurs patrons ou capitaines à leur teste; ils partirent de l'église du Couvent des Récollets, le 15 février, nues testes, la corde au col, tenant un cierge à la main, précédés de la Croix et d'un prestre, chantant les litanies de la Saincte-Vierge. Rendus à la chapelle de Condat, ils y entendirent la saincte messe, y communièrent et revinrent dans le même ordre. Puis, dès le jour mesme, vestus comme à l'ordinaire, mais ne vivant que de pain et d'eau, ils partirent pour Verdelays, oû ils consommèrent le voeu et revinrent à Libourne avec la mesme dévotion et abstinence. A leur retour, tout le monde leur achetoit des chape­lets, touchoit leurs habits et les regardoit comme des saincts; mais deux d'entre eux étaient morts à Verdelays, c'est à savoir : Jean Bonalgue et Pierre Feytit. »

Dans le sanctuaire, de chaque côté de l'arceau, se trouve un navire renfermé sous globe. Celui de droite est en ivoire sculpté, d'un grand prix (don inconnu). A la sacristie, on voit trois ex-voto. Le premier peint sur toile, représente, au sommet du tableau, la Vierge de Condat, au bas, une religieuse étendue dans un lit, puis deux autres religieuses en prières. Inscription : Ex-voto fait par Mme Th. Elisabeth Yon, le 20 avril 1844.

Deuxième ex-voto : Toile peinte représentant la Vierge de Condat dans les nuages, une jeune malade dans son lit, une femme pieuse qui prie les yeux fixés sur la bonne madone. (Aucune date.)

Troisième ex-voto : Gravure représentant Notre-Dame de Condat, un navire en danger sur la mer en furie, avec cette inscription : Et faix voto. Vœu fait par le capitaine Jean Perrin et son et équipage à bord du brick le «Saint-Mathieu », de Libourne, 1788.

Quatrième ex-voto (à la cure) : Peinture sur toile, vierge dans les nuages, tempête, navire en détresse et cette inscription : Ex-voto. Vœu fait par capitaine Jacques Renier et son équipage dans le surfide de Saint-Pardon, le 28 février 1788.

Beaucoup de ces ex-voto ont malheureusement disparu.

L'église est encore ornée de onze vitraux représentant la vie de la Sainte-Vierge. Celui du fond du sanctuaire reproduit exactement la madone de la niche qui est-au-dessus du tabernacle. Ils sont modernes et n'ont que le mérite d'avoir été bien soignés par leur auteur, M. Dagrant. Le premier, à gauche en entrent, est signé Villiers, 1874. Tous les autres ont été faits à Paris et sont signés Lusson-Lefèvre, 1876.
Il en est autrement des fleurs de lis du dallage du sanctuaire : elles sont du XVe siècle et on admire la finesse de leur découpure. Ce sont les mêmes qui ont été retrouvées peintes en rouge sur la voûte de l'abside.

V – Les chapelains – La fontaine.

Quels furent les chapelains qui desservirent Condat, soit avant, soit après la Révolution ?

Depuis le XIIIe siècle jusqu'à l'expulsion des Anglais, le service de la chapelle de Condat fut fait par un Cordelier du couvent dont on voit encore les restes à l'encoignure des rues J.-J.-Rousseau et de l'Union.
En 1287, le chapelain s'appelle le père Brun ; c'est à sa prière, disent les chroniques d'alors, que Édouard Ier, fondateur du susdit couvent, accorda à la ville de Libourne le droit de bâtir un collège en 1289.

Immédiatement après la conquête de la Guienne par Charles VII, ce furent les curés de Libourne qui vinrent faire les offices à Condat.

Cela dura ainsi jusqu'à 1653, où les Récollets de la rue Saint-Eutrope vinrent, avec l'autorisation de Louis XIV, s'emparer du presbytère que M. Minard, curé de Libourne, avait naguère construit pour la desservance de la chapelle.

Furieux de cette spoliation, les membres de la ju­rade libournaise firent venir les capucins et les installèrent dans le presbytère de Condat. Mais forts de l'appui de celui qui avait dit : « L'État, c'est moi, » les Récollets obtinrent trois arrêts du conseil d'État en date des 12 mars, 9 mai et 24 juillet 1661, et les Capucins furent obligés de leur céder la place.

M. Arnaud Chaperon maire, et M. Lasaphe, jurat, faillirent payer cher leur dévouement aux Capucins qu'ils avaient fait revenir à Libourne, malgré l'injonction du Parlement qui les en avait expulsés. Une prise de corps avait été décrétée contre eux. Ce n'est que grâce à l'intervention de Mgr Louis de Béthune, archevêque de Bordeaux, qu'ils parvinrent à apaiser 1a colère du roi. En même temps, un nouvel arrêt du conseil d'État renouvela aux Capucins la défense de s'établir jamais à Libourne.

Après la Révolution, les premiers desservants de Condat furent les membres du clergé de la paroisse de Saint-Jean; puis vinrent MM. Lugan, de 1869 à avril 1872; Egreteau, du 24 mai 1872 au 1er mars 1891; Thiard, du 5 avril 1891 au 15 août 1892.

M. l'abbé Boursier, qui lui succéda, poursuivit avec autant de succès que d'intelligence la double œuvre de ses prédécesseurs, à savoir : l'embellissement de la chapelle et l'extension du pèlerinage. C'est lui qui fit exécuter ces peintures d'un goût si heureux, qui achèvent de faire, de la chapelle de Condat un véritable bijou d'art.

Après M. Boursier; vint M. Arné, à la fin de 1907. Mais une mort prématurée interrompit, le 31 mai 1908, son apostolat, qui fut d'ailleurs très apprécié.

A. M. de Villechenoux, son successeur, et qui occupa le poste pendant 18 ans, de 1908 à 1926, revient le grand mérite d'avoir su trouver dans la générosité de Mme la Comtesse de Kermartin un moyen de remédier au vol légal, qui, lors de la séparation de l'Église et de l'État, avait dépouillé la paroisse de Condat de son presbytère - édifié pourtant avec les dons des Condatais -. Le geste de cette admirable chrétienne; continué après sa mort par les familles Saint-Genis et Alibert, permet d'assurer à Condat la présence d'un prêtre gardien du précieux sanctuaire et qui plus est, de donner à tout un quartier de Libourne situé en dehors de l'agglomération urbaine, avec les bienfaits du ministère sacerdotal, le privilège de la personnalité paroissiale.
A toutes ces bonnes volontés du passé et du présent, comme aussi à l'excellente et dévouée famille Gaucher-Piola, va toute l'estime et la reconnaissance, non seulement des habitants de Condatais ou de Libourne, mais encore du diocèse lui-même.

La Chapelle de Condat ainsi environnée aujourd’hui d'un splendide presbytère, d'un petit vignoble, d'une prairie et d'un jardin d'agrément, était jadis, au centre même d'un cimetière; on y découvrit, il y a quelques années, d'assez nombreux ossements et présentement encore, sur le mur du côté nord, on peut lire, gravés à la pointe du couteau, des inscriptions et les noms de personnes décédées.

Non loin de la chapelle se trouve aussi une fontaine dite Fontaine de la Vierge. Nous tenons à la mentionner, car les jeunes filles y jettent des épingles, comme on le fait dans celle de Sainte-Eustelle, à Saintes. Si ces épingles se croisent, elles se marieront, prétendent-elles, dans le courant de l'année. Pratique superstitieuse, direz-vous : oui sans doute, mais qui ne fait de mal à personne et qui est plutôt risible que blâmable.

L'eau de cette fontaine possède, parait-il, des propriétés curatives pour les maladies des yeux. Plusieurs personnes de la cité et des environs en auraient par expérience constaté les effets bienfaisants. Mais nous laissons à nos chers et éminents docteurs de Libourne le soin de trancher une question sur laquelle nous avouons notre complète incompétence.

Disons en terminant que si Marseille a pour la protéger Notre-Dame de la Garde, Lyon Notre-Dame de Fourvière et Bordeaux Notre-Dame de Talence, Libourne se glorifie et se réjoui d'avoir Notre-Dame de Condat. Le passé et le présent sont là pour justifier cette joie et cette fierté : ajoutons que l'avenir, avec de nouvelles bénédictions et d'autres miracles, rendra ces deux sentiments encore plus légitimes et les enracinera davantage au plus intime de nos cœurs.

Notre Dame de Condat - Face Extérieur  Au dessus de l'entrée principale

Notre-Dame de Condat de nos jours...

8 août 2004

Le TuMuLuS de CoNdAt

(Extrait d’un recueil photocopié FL LIB 944.7 SAR « page 113 à 120 »

de la médiathèque Municipale Condorcet de Libourne
ou « Revue S.H.A du Libournais 1939-1940»)

Libourne - le tumulus de Condat

SITUATION

Le Tumulus de Condat est situé à une centaine de mètres au sud de l’église dans une prairie en bordure de la route qui, de Libourne, conduit à la Dordogne en face du Port de Génissac. A la place de cette prairie s’étendait il y a quelques années encore une vigne. A une soixantaine de mètres au sud de chevet de l’église, donc entre cette église et le tumulus, une source alimente le bassin d’une ancienne fontaine (au dessous de la niche qui renferme une statue de la Vierge est encastré un fragment de mosaïque en cubes blancs et rouges sur lesquels se détachent en noir les lettres E I D et au dessous N P. Ce fragment n’a point été trouvé sur place : c’est un morceau de pavage d’une basilique constantinienne exhumée à Carthage par le R.P. Delattre et donné par celui-ci à Mr l’abbé Salmon, curé de Condat).

Les jeunes filles vont, paraît-il, y jeter des épingles : si ces épingles se croisent, les jeunes filles sont sûres de se marier dans l’année. De plus, la tradition attache à ses eaux une vertu curative pour les yeux.

Bref, cette source a toujours été l’objet d’une certaine vénération qui s’est maintenue jusqu’à nos jours : pas plus tard qu’en 1933, en effet, la fontaine a été restaurée par les soins d’une famille du pays en reconnaissance d’une guérison inespérée attribuée à la « source miraculeuse ». Le lieu est appelé sur le Plan Cadastral dressé en 1845 « Pont de Condat » ; la situation en est assez remarquable. Le tumulus se trouve, en effet, à peu près au milieu de la base de la boucle que décrit la Dordogne avant d’atteindre Libourne : cette sorte d’isthme mesure 800 mètres ; le tumulus est à 350 mètres de la rivière à l’ouest, et à 450 mètres à l’est.

HISTORIQUE

Ce qui paraît assez surprenant, c’est que le tumulus de Condat n’ait été signalé à peu près par personne : ni par François Daleau dans sa Carte d’Archéologie Préhistorique de Département de la Gironde (1876), ni par G. Loirette dans un inventaire sommaire de L’Époque Celtique en Gironde (1933), ni enfin par J.Ferrier qui, résumant les travaux de ses devanciers, estime dans La Préhistoire en Gironde (1938) que le nombre des tumulus dépasse la centaine dans le département. Les historiens de Libournais, pas plus Guinodie que Souffrain, n’en ont davantage soufflé mot. L’Archiprêtre Latour dans une courte monographie consacrée à Condat n’en parle pas non plus.

Seul, Piganeau en a fait la brève mention suivante dans son Essai de Répertoire Archéologique du Département de la Gironde (1897) : « Tumulus inexploré renfermant probablement les restes des guerriers de 1377 et de 1453 », soit des deux sièges qu’a subis le château de Condat pendant la guerre de Cent-Ans. Nous verrons plus loin ce qu’il faut penser de cette conjecture. Mais il nous paraît nécessaire d’ajouter que là, comme ailleurs, les paysans d’alentour parlent encore de Veau d’or enseveli sous ce tertre. Dirons-nous que cette survivance d’une aussi lointaine tradition nous semble tout de même le gage d’une longue habitation dans ce lieu ?

FORME ET DIMENSIONS

Au surplus, l’aspect du tumulus est suffisamment caractérisé pour avoir légitimé d’y entreprendre des fouilles. La forme en est à peu près circulaire: 41 mètres dans l’axe Est-Ouest, perpendiculaire à la route ; 30 mètres dans l’axe Nord-Sud. La circonférence à la base mesure 130 mètres et au sommet, légèrement aplati, 33 mètres. La hauteur au-dessus du niveau de la prairie est encore de 3 mètres, car des labours successifs l’ont sans doute quelque peu réduite. C’est déjà une petite élévation qui se détache d’autant plus nettement  au-dessus du sol qu’elle est isolée et que le pays environnant, tout en palus, est plat. En général, les tumulus sont, au contraire, groupés. A La Brède, par exemple, ils sont au nombre de 9, de dimensions très inégales : leur diamètre varie de 6 à 20 mètres et leur hauteur se tient entre 50 centimètres et 3 mètre ; de même les buttes de Queyrac-Vendays, dans le Bas-Médoc, sont au nombre de 18: elles ont de 15 à 30 mètres de diamètres et de 2 à 3 mètres de hauteur.

C’est le mardi 19 mars 1940 à 09 heures, qu’était donné le premier coup de pioche dans le tumulus de Condat. Comme le conseille le Manuel de Recherches Préhistoriques, le tumulus a été attaqué par le Sud dans une tranchée de 1,40 mètre de large. Les travaux devaient durer du 19 au 23 mars et furent repris les 29 et 30 mars.

STATIGRAPHIE

Nous avons rencontré trois couches de terrain : une terre végétale superficielle d’une épaisseur moyenne de 0,10 cm, de l’argile grise avec traces ferrugineuses, homogène, compacte, terre forte très difficile à travailler, impossible à tamiser, parsemée de galets de la rivière. Cette couche atteint une épaisseur de 1,25 mètre puis de l’argile brune, plus friable, plus humide aussi, rencontrée jusqu’à la profondeur maximal à laquelle nous sommes parvenus, soit 3,30 mètres, profondeur à laquelle nous avons d’ailleurs trouvé la nappe d’eau, soit 30 centimètresau-dessous du niveau de la prairie et donc de la basse du tumulus. Nous n’avons pas pu aller au-delà. Ajoutons que cette couche d’argile brune se retrouve en profondeur à peu de distance de la surface de la prairie, ce qui tend bien à prouver que le tumulus a été constitué avec de la terre rapportée.

TROUVAILLES

Les découvertes n’ont point répondu à notre attente:

A 1,60 mètre de profondeur et à 5,40 mètres du centre, un fragment de poterie grossière, de 0,013 d’épaisseur, qui ne semble pas faite au tour, d’une pâte rouge au dehors, et brun-noir au dedans, mal cuite, trop dure toutefois pour être néolithique. Inutile de dire que cette découverte le second jour des fouilles nous avait donné grands espoir, ainsi que des traces charbonneuses qui n’étaient que des racines de vigne décomposées à l’abri de l’air.

Au centre, à partir de la profondeur de 2,25 mètres et jusqu’au fond, des débris gallo-romains consistant en tuiles à rebord et tuiles creuses, toutes en morceaux, de différentes couleurs et de différentes qualités, plutôt grossières. Au total une trentaine de fragments dans 10m3 de terre : il y en a peu de semblables. Ils ont été trouvés pêle-mêle, dans tous les sens, enrobés dans l’argile.

Divers fragments de poteries gallo-romaines, plus ou moins fines, provenant de débris de vases communs, en particulier un morceau de grande amphore ou de dolium, épais de 0,02 en moyenne.

Bref, cela ne paraît offrir rien de bien remarquable, car des débris de ce genre, on en trouve partout : nous en avons trouvé dans deux trous pratiqués au hasard dans la prairie à la base du tumulus et Mme de Molaing m’a confirmé qu’on en avait trouvé également en défonçant les jardins du château de Condat. Mais, pour n’avoir rien à nous reprocher, nous avons dépassé le centre du tumulus de 2 mètres environ dans toutes les directions et nous n’avons toujours que des débris de tuiles ; nous en avons même trouvé dans l’eau.

CONCLUSIONS

Ces résultats ne paraissent pas suffisants pour autoriser une conclusion précise. Ne voulant considérer que le certain édifié sur des constatations positives, voici ce que nous sommes en mesure d’affirmer :

Le Tumulus a été manifestement édifié avec de la terre rapportée, il a été édifié postérieurement à l’époque gallo-romaine ou même dès cette époque, l’opinion de Piganeau paraît controuvée, car si des guerriers avaient été ensevelis dans le tumulus au XIVe siècle, on n’eût point manqué d’y trouver des armes et des ossements.

HYPOTHESES

Alors, à quelle époque et dans quel but aurait été édifié le tumulus, si tumulus il y a ? C’est bien ce qui nous échappe.

Certains pensent que cette butte a pu être élevée pour rompre la force du courant d’inondation, venant par l’Est,

d’amont vers l’aval, et souvent très puissante en cet endroit. Il n’est pas rare que l’eau recouvre la palus de Condat et arrive jusqu’au presbytère. Précisément, en raison de ce danger, il semble qu’à une époque plus récente, on eût plutôt édifié une véritable digue.

Est-il possible d’y voir une motte de défense en avant du château et en liaison avec celui-ci ? Le tumulus paraît bien bas et bien petit pour avoir rempli cet office.

Rappelons enfin qu’à Condat on a souvent entendu dire par les vieux que «  le tertre » remontait au temps des Anglais. Il est vrai que c’est là une expression courante chez les paysans de la Gironde pour dater un monument ancien. La légende concernant le tumulus, aujourd’hui détruit, de Peychez, à Villegouge, nous paraît bien significative à cet égard. Ne raconte-t-on pas, en effet, que ce tumulus « aurait été construit en une nuit par les femmes des Anglais qui portèrent la terre dans leurs tabliers, afin d’établir des pièces d’artillerie pour tirer sur l’église » ? Nous ne croyons pas qu’il faille attacher à cette tradition plus d’importance qu’elle n’en a, bien qu’elle ait paru fort intéressante à François Daleau qui l’a retrouvée non seulement en Gironde, mais en Charente et Charente-Inférieure, en Dordogne, dans le Tarn et la Vienne.

Ce qui n’est pas une légende, ce sont les faits suivant que nous croyons utile de verser au débat. Par lettre en date du 07 juin 1335, Édouard III, Roi d’Angleterre, faisant don à Amanieu du Foussat de la terre de Condat pour une valeur de 100 livres sterl. « a luy cédée par le roi pour l’indemniser des pertes qu’il avait faites pendant la guerre ». Vingt ans plus tard, par de nouvelles lettres datées de 10 février 1355, Édouard III permettait à Amanieu du Foussat de bâtir un fort dans sa terre de Condat à la charge de le remettre aus mains du roi quand il en serait requis. Comme ont pourrait être tenté de voir dans le tumulus de Condat la base de ce fort, nous ferons observer que la butte est de dimensions bien modestes pour avoir convenu à cette destination, sans compter que, dans ce cas, les fouilles eussent bien permis de découvrir quelques vestiges de ces substructions, à moins que ce fort n’ait été qu’une simple tour en bois. C’est peu vraisemblable. Il y a donc tout lieu de penser que le fort d’Amanieu du Foussat doit être cherché ailleurs (peut-être dans la propriété de Mme de Molaing où « on a mis à nu, il y a un certain nombre d’années, plusieurs toises de fortes murailles ».

En tous cas, il semble difficile de voir dans le tumulus de Condat une sépulture néolithique ou de l’âge du bronze, violée à l’époque romaine et remplie de débris jetés en désordre, car on devrait alors y trouver d’avantages de débris, sinon quelque trace de construction ou de squelette : on n’eût, en effet, volé que les objets précieux. Cette dernière hypothèse semble procéder du roman.

Dans ces conditions, la seule chose que l’on soit en mesure d’affirmer avec certitude, c’est que le problème reste presque entier.

REMERCIEMENTS

Assurément, tout cela est assez décevant et on comprend fort bien, suivant l’expression de J.Ferrier, que les préhistoriens girondins « boudent à la tâches » en ce qui concerne les tumulus. Nous eussions sans doute fait comme eux, si nous n’avions trouvé chez tous et chacun un concours empressé qui nous a permis d’économiser temps, fatigue et… argent. Nous remercions donc tout particulièrement Mme Fourcaud-Laussac, propriétaire, Mr Feyzeau, métayer, qui nous ont donné les autorisations nécessaires pour fouiller. Mr le principal du Collège, qui a bien voulu s’entremettre auprès de Mr le Comandant d’Armes Joly pour obtenir le personnel indispensable, Mr l’abbé Salmon, curé de Condat, qui, par son amabilité coutumière, a tout rendu facile. Nous ne saurions oublier non plus l’équipe de travailleurs allemands qui s’est attelée à la besogna avec un soin et une diligence dignes de tous les éloges. Enfin, nous manquions à notre devoir si nous passions sous silence l’aide efficace apportée par la Société Archéologique du Libournais, son dévoué Président et son benjamin, René Möller.

Ainsi, grâce à la collaboration de tous, il y a un tumulus de moins à fouiller.

Henry de Sarrau.

Tumulus de Condat (2006)

Tumulus de Condat (2006)

Le Tumulus de nos jours...

...et une p'tite trouvaille pour le commentaire

qui a été posté sur l'histoire du terrain du tumulus

transformé en parcours de santé (photo 1989)

Parcours de santé Condat - Magazine info Libourne 1989

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