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Le Blog de JM 33500 - LiBoUrNe, HisToiRe d'En ParLeR
8 juin 2007

D'ArTaGnaN à LiBoUrNe en 1650

Souffrain (2) et Guinodie (3) ont relaté, plus ou moins longuement, le séjour que Louis XIV et sa Cour firent à Libourne. Quelques documents, découverts au hasard de la lecture, permettent d'en compléter l'histoire, et de situer dans l'ambiance du moment, la venue dans nos murs du célèbre mousquetaire.

Statue de d'Arpagnan - Musée de Lupiac (Gers)Bien sûr sait-on qu'en août 1650, il fit très chaud à Libourne (4), et que Mademoiselle de Montpensier s'y ennuya fort. M. P. Amiguet (5) écrit:
« Le
1er août, elle (la cour) arrive à Libourne où elle séjournera un long mois. Anne d'Autriche
, plus maussade que jamais, reste enfermée dans son logis et oblige S.A.R. (Mademoiselle) à demeurer auprès d'elle et à faire de la tapisserie. Belle besogne lorsqu'on est jeune et que l'on a envie de grand air, de mouvement, d'espace et d'actions héroïques ! Aussi, la princesse ne peut-elle s'empêcher de regarder avec mépris, voire avec colère cette femme qui passe son temps à dormir, à manger, à dire ses oraisons, et à penser au Cardinal. Comme elle est devenue grosse et lourde cette Reine qui a tant de peine à comprendre l'âme de la France ... Et, Mademoiselle de nous dire avec dépit:
« Il faisait une chaleur horrible, de sorte que pour en moins sentir l'incommodité, la Reine demeurait tout le jour sur son lit sans s'habiller que le soir ; ainsi elle ne voyait personne. J'étais tout le jour dans ma chambre. Le plus grand divertissement que j'eusse était d'écrire à
Paris » ...

« Parfois la Princesse était réveillée à l'aube par le son des fifres et des tambours; c'étaient les troupes du Maréchal de La Meilleraye qui se rendaient devant les murs de Bordeaux. Un autre jour c'étaient des mousquetaires et des chevau-légers qui s'arrêtaient pour bivouaquer. Ces spectacles militaires étaient toujours les bienvenus ; ils rompaient la monotonie des jours, et faisaient une heureuse diversion aux travaux d'aiguille imposés par la Reine ».

Pour
A. Joanne, qui reprenait sans doute les dires de Souffrain, des fêtes brillantes furent données à Libourne pendant le séjour de la Cour (6). Sans doute, l'animation causée par la présence de tant de grands Seigneurs fut-elle une distraction pour les Libournais. Il est aussi bien certain, que longtemps après, on dut parler de l'entrée en ville des souverains, de leur réception à l'église Saint-Jean, des processions auxquelles ils prirent part, de l'exécution de Richon sur la place de la halle. Mais, tout ceci ne pouvait ni faire oublier à Mademoiselle que la guerre continuait, ni l'empêcher de songer à ce que serait la vie à Paris
une fois la paix rétablie.

Bien peu de chose aurait suffi, pour que Mademoiselle ait une autre opinion de notre ville. On connaît son goût très marqué pour l'ortolan, oiseau qui se chasse en Avril-Mai pour la migration de printemps, et en Août-Septembre pour celle d'automne, et qui doit être ensuite engraissé pendant cinq à six semaines. Lorsque la Cour était à
Libourne
, il était ou trop tôt, ou trop tard pour qu'elle puisse s'en régaler.

« N'oublions pas. écrivait
C. Desabrant (7), qu'à l'époque de La Fontaine, le rat des villes se régalait de reliefs d'ortolan, et qu'un royaume fut dédaigné pour des ortolans ... Ce royaume n'était autre que celui de Sa Gracieuse Majesté Charles II d'Angleterre, et il fut proposé à la Grande Mademoiselle. Mais la cousine de Louis XIV, dont le solide appétit n'empêchait pas un sens subtil du palais ... royal, montra un inébranlable attachement à la cuisine française en refusant d'épouser un roi sur la table de qui on ne servait pas d'ortolans! »

Ce projet de mariage datait du début de 1649, soit un an et demi avant le séjour à Libourne.
En
août 1650, Colbert et Foucquet séjournèrent aussi à Libourne
(8).
Nous avons essayé, d'ailleurs sans succès, d'avoir des précisions sur ce sujet, aussi la question reste-t-elle toujours posée.

Portrait de d'ArtagnanMais,
d'Artagnan vînt à Libourne, et son séjour, qui eut des conséquences importantes, semble être passé inaperçu de Souffrain et Gui­nodie. E. Ducéré, que j'ai déjà eu l'occasion de citer (9), écrit:

« Lorsque les troupes royales mirent le siège devant Bordeaux, (l0) Lavrillère écrivit une lettre au corps de la ville de Bayonne, au nom du Roi, lui demandant un renfort de pinasses armées en guerre, pour faire le blocus de la ville par le fleuve. Le fameux d'Artagnan, le mousquetaire, fut chargé par la cour de porter le paquet à Bayonne, et de hâter les préparatifs. Les dix pinasses furent promptement armées et équipées, et placées sous le commandement de M. de Maubec, sieur de Pellicq ».

Il est inutile de dire qui fut
d'Artagnan, mais il semble bon de préciser ce qu'était une pinasse. En effet, les girondins que nous sommes, ont peine à imaginer les paisibles embarcations arcachonnaises armées en guerre, et participant au blocus d'une ville comme Bordeaux. Au XIIIe siècle, les pinasses étaient des navires aussi forts que les caravelles espagnoles : ce fut d'ailleurs l'Espagne qui en enseigna l'usage aux Bayonnais, et aux XVIe et XVIIIe siècles, elles étaient très estimées (11). Les pinasses étaient groupées en escadrilles, et pour le siège de La Rochelle, où les Basques prirent une si large part, Saint-Jean de Luz
se distingua d'une manière particulière : il avait armé à lui seul 15 pinasses chargées de vivres et de munitions (12).

Voici donc, un extrait du rapport de mer du
Sieur de Maubec, rédigé à « Laurmont » le 14 Septembre 1650 (13) :

« ... Je vous diray doncq que sortans de nostre hâvre, nous rencontrâmes M. de Monty dans un grand vaisseau de 32 pièces de canon, et son patache de 12, mais le vent nous ayant été contraire, nous feumes six jours sans pouvoirs aller à Blaye, où arrivé M. d'Artaignan ne voulut perdre temps pour aller en court, qui estoict à Libourne, m'ayant fait l'honneur de me souffrir en sa compagnie, me mena au logis du Roy, où nous trouvasmes fort à propos le Roy et la Reyne ensemble, avec quantité de seigneurs où estoict Monsieur notre gouverneur, lequel me fit la faveur de me présenter à S. M ... après quoi M. d'Artaignan fut d'advis d'aller voir M. le Cardinal... M. de Servien qui estoict avec luy ... me mena chez M. de la Bérillère » ...

On ne peut pas mettre en doute la sincérité de ce rapport. Sous le nom estropié de la
Bérillère, se cache M. de la Vrillère, alors Secrétaire d'Etat, et qui logeait près du Louvre (14). «Il eut peu d'éclat, soit à la Cour, soit dans le Royaume; il ne dut son élévation qu'à son caractère souple, et à une riche succession que lui laissa son beau-père, le fameux Panticelli d'Eimery
(15).
Par contre
M. de Servien
, Abel, était « Ministre, Secrétaire d'Etat, Surintendant des Finances et l'un des 40 de l'Académie Française », Ce fut un diplomate distingué, « naturellement fier et impatient, brusque et rude dans ses manières (16) ».
D'Artagnan foula donc le pavé de nos vieilles rues, et on peut écrire que c'est peu avant le 27 août qu'il était à Libourne. En effet, il amenait les pinasses bayonnaises qui allaient participer au siège de Bordeaux, et ce renfort étant arrivé, le Roi quitta Libourne
pour aller à Bourg pour être plus près du théâtre d'opérations.
Ce séjour est donc d'une importance capitale pour l'Histoire de la Fronde, car dix jours plus tard, le Roi faisait son entrée dans
Bordeaux
(17).

Mais, il est possible, que ce soit à
Libourne que d'Artagnan ait reçu la mission d'aller à Bayonne. Un compte à rebours va en donner la preuve:

- le Roi quitte Libourne le 27 août,
-
d'Artagnan y est arrivé le 25 environ, il a quitté Blaye
le même jour,
- 6 jours de navigation ont été nécessaires pour aller de
Bayonne à Blaye : l'escadrille a donc appareillé vers le 19
,
- les pinasses furent promptement armées et équipées : si une dizaine de jours s'écoula entre la réception de l'ordre royal par la ville de
Bayonne et l'appareillage, c'est que d'Artagnan remis l'ordre vers le 9
,
- la Cour étant arrivée à
Libourne le ler août, c'est pendant cette longue semaine que d'Artagnan reçut sa mission, et trouva le temps de faire le déplacement.

Ce n'est donc pas un séjour, mais bien deux, que d'Artagnan fit à Libourne.

Suivant le Roi jusqu'à Bourg, et parlant de la réconciliation qui eut lieu dans cette ville entre Louis XIV et la princesse de Condé, Gui­nodie (18) cite la comtesse de Tourville, parmi les personnes accompagnant la princesse.

Sachant qu'ii y eut au moins deux familles qui portèrent ce titre, l'une originaire de Bretagne, l'autre de Lorraine, on est en droit de se demander de laquelle il s'agit. Jean de La Varende vient heureusement à notre secours.
Cette
comtesse de Tourville était née Lucie de la Rochefoucault. Veuve en premières noces d'un Duras, elle avait épousé en secondes noces César de Tourville
: ils furent les parents du Maréchal (19).

« En
1649, quand Anne d'Autriche voulut s'assurer de la princesse de Condé comme otage, écrit-il, c'est Madame de Tourville, alors première dame d'honneur qui organisa la résistance, et prit la part la plus importante dans la farce qu'on joua au pauvre M. du Vouldy, chargé de la garde des captifs. On sait qu'au lieu du petit duc d'Enghien et de la princesse, on lui fit voir une jeune anglaise et le fils du jardinier, pendant que Madame de Condé et l'enfant ducal galopaient vers Bordeaux. Madame de Tourville fit réussir la fuite. Année sur année, Lude de Tourville, la comtesse de Tourville par courtoisie, allait suivre le sort des Condé
, sans jamais les abandonner» (20).

Sans doute me suis-je laissé entraîner bien loin de mon sujet. J'espère que cette étude des aspects peu connus du passage de la Cour à
Libourne vous inclinera à l'indulgence.

                                                                                             B. MONTOUROY.

(1) Doit-on dire Artagnan ou d'Artagnan, comme l'écrit A. Dumas. Il semble que ce soit une faute, la particule ne devant être employée que lorsqu'il est fait usage d'Un titre ou prénom.
(2)
SOUFFRAIN
. Tome III, p. 30 et s.
(3)
GUINODIE
, 2" éd. T. l, p. 226.
(4) Ibid. T. l, p. 230.
(5)
Philippe AMIGUET. La Grande Mademoiselle et son siècle d'après ses Mémoires. Albin Michel. Paris 1957
, p. 170 et 171.
(6)
Adolphe JOANNE : De Paris à Bordeaux (collection des Guides Joanne), 3" éd. Paris. Hachette 1867
, p. 288.
(7)
Catherine DESABRANT. Célébrité n'est pas chance : l'ortolan. Dans Bêtes et Nature, la revue du monde animal n° 46 octobre 1967. Cet article est à rapprocher de celui paru dans la R.L. n° 2 août 1898
, p. 26 et 27.
(8) R.H.A.L., T. Xx...XV, n " 123, p. 2.
(9) R.H.A.L., n° 127, p. 16, note 6.
(10) Histoire topographique et anecdotique des rues de
Bayonne. E.DUCERÉ
, T. V, p. 135.
(11) voir le LAROUSSE à ce mot.
(12)
Pierre HARISPE. Le Pays Basque. Paris 1929
. Payot, éd. p. 135.
(13)
DUCERÉ
. Ibid. p. 136 et suivantes.
(14)
SOUFFRAIN
, p. 30.
(15) Dictionnaire universel, historique, critique et biographique par une Société de Savants français et étrangers. 9" éd. Paris. Prud'homme Fils. 1812, T. XVIII, p. 147.
(16) Ibid. T. XVI, p. 158.
(17) Courrier Français du Dimanche. Edition du Libournais, n. 1257 du
19 octobre 1968. Jehan de GUIENNE. Personnages célèbres du Bordeaux
de jadis.
(18)
GUINODIE
, 2" éd. T. 1, p. 232.
(19) Pour l'ascendance du
Maréchal de Tourville
, voir aussi Miroir de l'Histoire n° 225, page 6, question n° 120.
(20)
Jean de La VARENDE. Le Maréchal de Tourville et son temps. Paris. Ed. de France 1943
.


Escalier menant à la Statue  Statue de d'Artagnan

Originaire de Gascogne, il n'y a rien d'étonnant à ce que la principale ville de la région, Auch, ait élevé une statue à l'homme qui représente le mieux l'esprit gascon. Erigée sur le premier palier d'un escalier monumental de 234 marches, la statue de d'Artagnan se dresse fièrement là depuis son inauguration en 1931.
Un point de passage obligé pour les amateurs du célèbre mousquetaire...

Iconographie. - Le Journal des Veillées du Pays de Bigorre publié par la Société Bigourdane d'Entraide Pédagogique. Hiver 1933-1934, n° l, reproduit la photographie de la statue en bronze de d’Artagnan, érigée à Auch, sur l'escalier monumental le 12-7-1931, œuvre du sculpteur Firmin Michelet, auquel est consacrée une notice intéressante, sous la signature de Georges Ferrero.

Extrait de la Revue Hist. Et Arch. Du Libournais 1969 à 70.

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