LeS GRoTTeS De FeRRaND
Le terroir de Saint-Emilion abrite de nombreuses et inestimables manifestations de l'art et de l'activité des hommes qui, à toutes les époques, ont apporté à la ville et sa région son lot de monuments.
Mais il en est un qui reste ignoré du public et qui mérite d'être connu. L'historien qui révéla ce site ne fut autre qu'Emilien Piganeau. Il est paru depuis plusieurs publications apportant une vision très différente des grottes, de leur auteur, de leur finalité. Cette étude sommaire qui n'apportera rien de fondamentalement nouveau sur le sujet, a seulement pour objet d'offrir une synthèse des recherches déjà publiées. Enfin, j'essayerai, tout en recherchant ce qu'il faut garder de chaque auteur (et ce qu'il faut rejeter), de déterminer ce qui paraît le plus probable quant à « l'énigme Ferrand ».
C'est l’un des monuments les plus remarquables de la Juridiction de Saint-Emilion, un ensemble architectural fascinant, creusé face au midi dans une corniche calcaire qui domine la vallée de la Dordogne. Alternance du cercle et du carré, couloirs et autels cruciformes, salles en fer à cheval, loge ovoïde. C’est un univers poétique et sacré, envoûtant qui suscite maintes interrogations.
DESCRIPTION
Le souterrain de Ferrand se trouve sur la propriété de « Château Ferrand », commune de Saint-Hippolyte, à trois kilomètres au sud-est de Saint-Emilion. Exposées au midi, les grottes ont été creusées au flanc du coteau calcaire, dominant ainsi la vallée de Saint-Laurent-des-Combes. Le site comporte trois niveaux:
- une partie haute, issue du plateau naturel où s'amorce un escalier d'accès,
- une terrasse principale d'une largeur moyenne de huit mètres, permettant l'entrée dans les diverses grottes,
- une partie basse où a été réalisé un bassin qu'alimente une source.
L'ouvrage, que l'on peut diviser en trois parties, est en fait composé d'un ensemble de cavités taillées de main d'homme dans la roche sur plus de 100 mètres.
La partie occidentale est composée de trois salles rectangulaires indépendantes. Celle de gauche n'a rien de spécifique, mais la seconde est cruciforme. Quant à celle de droite, elle est bordée de bancs taillés dans le roc.
La partie orientale comporte elle aussi trois salles: deux d'entre elles sont ovales (dans l'une d'elles sont creusées sept niches). La troisième, carrée, donne accès à une galerie de 33 mètres qui, avec la salle carrée, communique avec l'extérieur par neuf couloirs perpendiculaires.
La grande galerie imitant la galerie des glaces du château de Versailles.
La partie centrale, appelée le « labyrinthe », est la plus curieuse. Son plan, complexe, est composé de galeries qui s'entrecroisent. Le long couloir (
HISTORIQUE
La première question qui vient à l'esprit lorsque l'on découvre ce site, à savoir quel en est l'auteur, on trouve une réponse immédiate à la lecture du testament d'Elie de Bétoulaud (A.D.G. 3 E 13.108 fol. 16 et suite (1705) - codicille 3 E 13.108 (1708) fol. 8 ou dans le bulletin de la Société des Archives Historiques de la Gironde, tome XIX, n° 164, Bordeaux, 1879, p. 386.):
"Je veux et entens aussy que mes héritiers et successeurs quy possèderont ma maison et seigneurie de Sainct Poly, près de Saint-Emilion, soient tenus d'employer tous les ans la somme de trente livres pour la propreté et J’entretiens des grottes magnifiques que j’ay faites creusées comme monuments éternels de la gloire du roy Louis le Grand, dans les rochers qui sont près de ladite maison..."
Elie de Bétoulaud (1637-1709) (ROQUETIE-BUISSSON (Vicomte de), Elie de Bétoulaud, Bordeaux, Imprimerie Gounouilhou, 1908) appartenait au milieu bordelais de la noblesse de robe et était lui-même avocat. Il se disait poète et fréquentait les milieux précieux parisiens. Il est à compter parmi les amis sincères de Mlle de Scudéry, dont il reçut estime et affection. Il partageait sa vie entre ses deux propriétés de Saint-Hippolyte, Bordeaux et la capitale où il côtoyait la cour. Ami de Conrart, Segrais, Fléchier, Mascaron, Chapelain, il connaît le confesseur de Louis XIV, le Père Lachaise, et la duchesse de Lorraine, à qui il a dédié des épîtres. Il prit parti pour Fouquet lors de son arrestation et pleure la mort de Pellisson.
Outre 1'«édification» de grottes comme hommage à la gloire d'un Roi, les manifestations de l'originalité de Bétoulaud ne manquent pas. Dans son testament toujours: "Comme (..) je souhaiterois de ranimer dans ma patrie l'amour presque éteint des belles lettres et quy ny ont este guere cultivées que par l'illustre Paulin, par le fameux Ausone, par Michel de Montagne et par Moy, je donne et lègue pour tous les ans, à perpétuité, une bague de diaments de la valeur de trente pistoles à celuy ou celle qui né ou née à Bordeaux ou dans toute J'ancienne sénéchaussée de Guyenne, aura au jugement de Messieurs de l'Académie françoise de Paris, composé à la louange d'une des plus belles actions de ce grand Roy, la plus belle pièce de poésie françoise..."
Nous avons dans ses écrits de nombreuses traces de son excentricité, qui, par endroit, peut paraître visionnaire. Il aurait bien vu en Bordeaux la capitale d'un seul royaume composé de la France et de l'Espagne par l'union des trônes. Le plan de la ville nouvelle qu'il décrit recoupe par bien des aspects ce que les intendants de Guyenne feront plus tard de Bordeaux.
Mais tous les rêves poétiques de Damon (Bétoulaud) se concrétisent dans cette entreprise extravagante que sont les grottes. Voici ce à quoi elles ressemblaient tel que nous l'apprend l'opuscule de Bétoulaud intitulé: « Description des grottes ou du labyrinthe de Damon » (Signalons que cet opuscule a été perdu depuis. Nous devons donc croire en la justesse des propos du Vicomte de Roquette-Buisson.)
"En sortant de la maison de Damon, qui est sur un costeau fort élevé, on passe dans un parterre en terrasse dont la vue, qui forme un quart de cercle, est parfaitement belle par les différents objets qui la composent. De ce parterre, on passe dans un bois de chesnes dont les allées forment un berceau fort exhaussé; du bois dans une longue allée à hautes palissades de charmes, et du milieu de cette allée dans une autre, au bout de laquelle on trouve une petite terrasse ballustrée en demi-rond, d'où J'on descend à droite et à gauche par deux routes ménagées entre les rochers et des arbres verts qui forment une manière de fer à cheval et qui conduisent, de chaque côté, par une pente fort douce et quelques marches fort commodes, à une grotte fort grande et fort claire".
On découvre ainsi "l'agréable vue d'une grande et belle plaine, meslée de terres, couverte de blés, de vignes, de bois, de prairies, de villages, de châteaux, de plusieurs tours et détours de la Dordogne", tout cela se terminant "par les beaux costeaux des pays d'entre-deux-mers, ce qui forme une espèce de vaste théâtre de cinq à six lieues (20 à 25 km) de tour".
De cette première grotte, on passe de plain-pied sur une autre terrasse jadis balustrée comme la première et de chaque côté de laquelle Bétoulaud avait créé deux cabinets de verdure à grands piliers de pierre joints par des barreaux de bois peints et formant deux ovales garnis d'orangers.
Au-dessous de la terrasse, s'étendait une vaste pièce d'eau alimentée par une source toujours claire, toujours pure, sourdant d'un rocher qui surplombait. Dans cette pièce d'eau, Damon fit rouler du haut du coteau de grosses roches qui en formaient le pourtour "ce qui avec le lierre qui s’y est meslé en quelques endroits, donne à ce lieu un air très agréable quoique sauvage en quelque façon".
De chaque côté d'une deuxième terrasse, quatre marches conduisaient à droite et à gauche à deux portes de fer grillées derrière lesquelles s'étendait avec symétrie le labyrinthe. Deux galeries hautes de huit pieds (
Plus loin, se trouvait une petite pièce ronde pour quatre ou cinq personnes, ornée de coquillages et de branches de corail, et dont la corniche était garnie "de limaçons d'Orient, de coquilles tigrées et de coupes de marbre serpentin, d'albâtre, de nacre, de cristal et de porcelaine". C'était là le cabinet et le salon dédié à Sapho (Mlle de Scudéry). Sans aucun doute, Bétoulaud espérait-il y recevoir sa fidèle amie. Mais rien ne permet de penser que ce rêve se réalisa. Mlle de Scudéry n'abandonna pas les rives de la Seine, tout en se montrant fort sensible à cette galanterie, ainsi qu'en témoignent plusieurs de ses madrigaux. Dans l'un d'eux, elle rapporte l'existence de volières dont ne parle pas Damon : "Il y a mesme de petites volières ménagées dans le roc à l'ouverture des fenêtres, remplies de sérins qui font un concert délicieux" (SCUDERY (Mlle de), Nouvelles conversations de morale, Paris, Imprimerie du Roy, 1688.)
Le grand roy avait lui aussi sa chapelle en ce rustique rocher; la gauche du labyrinthe était entièrement consacrée à son culte, "à cause de la beauté du rocher". Avec ses pilastres, le salon qui y était aménagé en son milieu "a, nous dit-il, l'air d'un petit temple et la lumière qui le pénètre par une fenêtre carrée, se condense au fond par un ovale de quatre pieds (
Cet ensemble ne parut pas suffisant à Damon et il imagina, à la louange de Louis XIV, un suprême et dernier effort. Si on pénètre, en effet, jusqu'à l'une des extrémités des deux premières galeries, on trouve un couloir intérieur unissant l'une à l'autre, les deux parties du labyrinthe (c'est le couloir d'entrée actuelle). Les deux parois extrêmes en sont percées de trous réguliers, formant par leurs entrelacs des L majuscules entrelacés. Ces petites ouvertures communiquent avec le fond latéral des deux galeries extrêmes du labyrinthe et la lumière pénètre par ces trous dans le couloir intérieur. "Elle éclaire, nous dit alors Damon, ces trois chiffres lumineux du nom du Grand Roy qui semblent estre composés d'étoiles brillantes ou de flammes de feu quand le soleil donne sur les fenêtres des grottes, effet surprenant et admirable". D'aucun nomment, ce dispositif "le confessionnal" donnant ainsi une destinée pieuse à une flatterie profane.
D'autre part, deux inscriptions rappellent les desseins de Damon. Sur la porte du labyrinthe de Sapho, on lit : « ET MUSIS ET OTIO » (Aux muses et aux loisirs). Sur l'autre: « ET VIRT. AETERN. LUDOVICI MAGNI » (A la vertu éternelle de Louis le Grand) pour témoigner, dit Bétoulaud, "que ce lieu est consacré à la vertu éternelle de Louis le Grand, aux muses et au loisir, afin qu'on y célèbre toujours en paix la gloire de ce héros."
Outre la grotte lyrique (parce que faite en forme de lyre) et diverses salles que l'on garnissait d'orangers et de jasmins d'Espagne, Damon créa une longue galerie qui, telle un cloître, ouvre en plein roc ses larges arcades sur la plaine de la Dordogne et "ce qui rend cette galerie très agréable, c'est qu'estant tout à fait libre en été, elle sert d'une riante et spacieuse promenade et qu'on y met des deux côtés, durant l'hivers, deux rangs de grands orangers entrelacés de divers pots de jasmins d'Espagne, de lauriers roses et autres fleurs qui craignent le froid... "
Joignez à cet ensemble de belles carpes qui viennent se disputer le pain qu'on leur jette dans la pièce d'eau et sur le haut du rocher "un petit bois charmant coupé confusément de petites routes tournoiantes".
Tout cela, il faut en convenir, justifiait presque la joie orgueilleuse que manifeste Bétoulaud en nous décrivant les grottes de Ferrand. "On est surtout obligé d'avouer, dit-il en terminant, qu'il a fallu beaucoup de travail, beaucoup de dépenses, beaucoup d'application et beaucoup de temps pour achever un si grand ouvrage dans un rocher qui était, en certains endroits, aussi dur que le fer même, mais Louis le Grand a tout fait surmonter et Damon a cru qu'il ne vivrait ni ne mourrait content s'il ne marquait par quelque chose d'éternel, son zèle et son admiration pour le plus grand des Rois".
L'entretien des grottes après la mort de Bétoulaud fut peu ou mal exécuté. Les propriétaires, émigrant à la Révolution, négligeront cette tâche à leur retour. Rien ne subsiste plus de ces délicatesses maniérées et surannées que Damon, sans se lasser, admirait. Le rocher est devenu aussi rustique que jadis; ainsi, la nature reprit-elle ses droits.
La question du modèle auquel a pu se référer Elie de Béthoulaud n'avait jusqu'alors pas eu de réponse. Marc Favreau y répond en partie et avance une hypothèse qui est d'autant plus digne d'intérêt qu'elle est à mon avis pertinente (FAVREAU (M.), Les Jardins de Gironde au XVIIe siècle, Mémoire de D.E.A. d'Histoire de l'Art moderne et contemporain, Université de Bordeaux III, 1990.) : "Il suffit de se replonger dans certaines grandes œuvres du XVIIe siècle, pour comprendre pourquoi ces grottes ont été creusées. L’Astrée influence fortement l'aristocratie européenne du XVIIe siècle. Ce roman-fleuve, vaste poème lyrique, descriptif et dramatique où l'amour apparaît sous toutes ses formes, raconte l'histoire de la Gaule au Ve siècle après J.-C."
Dans toute l'Europe, des groupes se constituent afin de faire revivre ces aventures romanesques. "Parfois, les lecteurs du roman prennent plaisir à se substituer en imagination à leurs héros, à rêver une vie à l'image de la leur et à se divertir quelques instants en portant leurs noms évocateurs, en tenant leurs rôles et en partageant leurs peines et leurs enthousiasmes. On joue le personnage de d'Urfé dans le parc et dans les jardins, près des grottes artificielles, des bosquets ombreux et des fontaines limpides" (LA THUILLIÈRE (R.), La Préciosité, Genève, 1966, p. 328) « Ainsi, il est fort possible que Bétoulaud, accompagné d'amis, se soit promené à Ferrand, habillé en berger ou en druide » (M. Favreau).
Or, il est certain que Bétoulaud a lu l'Astrée. Le Vicomte de Roquette-Buisson affirme même que la lecture de cet ouvrage a marqué notre homme. Il existe d'ailleurs dans l'Astrée plusieurs Damon. L'un, héros de l'Aquitaine, est chevalier et a pour fonction principale de combattre et d'aimer.
Il est dans l'ouvrage d'Honoré d'Urfé, un passage transposable à Ferrand: "...on entroit dans le jardin agencé de toutes les raretez que le lieu pouvait permettre, fut en fontaines et parterres, fut en allées et ombrages (...). Au sortir de ce lieu, on entroit dans un grand bois de diverses sortes d'arbres, dont un quaré estait de coudriers, qui tous ensemble faisoient si gracieux dédale (...). Assez près de là, dans un autre quaré, estoit la fontaine de l’Amour, source à la vérité merveilleuse (...). A J'autrequaré, estait la caverne de Daman et de Fortune, et au dernier, J'antre de la Vieille Mandrague(...). Outre que par tout le reste du bois, il y avait plusieurs autres diverses grottes si bien contrefaites au naturel que J'œil trompait bien souvent le jugement" (URFE (H. d'), L'Astrée, tome I, Lyon, Masson, 1926, p. 37.)
D'Urfé décrit plus loin ces grottes plus précisément: « L'entrée estait fort haute et spacieuse aux deux costez, au lieu de piliers, estoient deux termes (Pan et Syringue) qui sur leur teste, soustenoient les hauts de la voulte du portail (...), (et) estaient fort industrieusement revestus de petites pierres de diverses couleurs (...). Le tour de la porte estoit par le dehors à la rustique, et pendèrent des festons de coquilles rattachez en quatre endroits finissant auprès de la teste des deux termes. Le dedans de la voulte estoit en pointe de rocher, qui semblait en plusieurs lieux dégoutter desalpestre (...). Ce lieu tant par dehors que par dedans, estoit enrichy d'un grand nombre de statues, qui enfoncées dans les niches, faisaient diverses fontaines et touttes représentaient quelque effet de la puissance d’Amour". On découvre à nouveau combien les similitudes avec Ferrand sont nombreuses.
Plus loin, Marc Favreau propose: "La galerie aurait accueilli les orangers du labyrinthe et serait une serre, conçue peut-être d'après les théories de la Quintinie" (QUINTINIE (J. de la), le Parfait jardinier, Paris, 1695)
L'ÉNIGME FERRAND
Parler d'énigme quant aux grottes de Ferrand est inattendu. Cependant, une étude sur le site serait incomplète sans rendre compte de la littérature fantasmagorique qui aborde la question.
M. Michel Audouin n'hésite pas à affirmer (AUDOUIN (J.M.), Les Grottes de Ferrand, Opuscule n° 5 du Club de Recherches et d'Exploration Souterraines, 1984) que « Ferrand n'a pas une histoire mais des histoires, L'invisible aux yeux y est plus présent qu'il n’y paraît, c'est un lieu de connaissance et de savoir, chaque pierre et chaque mur valent plus que des livres ». « Aux forces de l'invisible, monument d'une technologie ignorée, Ferrand sait donner, lorsqu'il le faut, toute sa magnificence. »
Le ton est donné! Toutes les extrapolations sont alors possibles. M. Gérard de Sede (SEDE (G. de), Saint-Emilion insolite, Bordeaux, Imprimerie Pujot, 1980), affirme que Bétoulaud n'a point fait creuser les grottes: "Mais si, en disant qu'il les a fait (sic) creuser, il a voulu nous faire croire qu'elles n'existaient point avant lui, alors, il s'est vanté, manifestant, comme d'habitude, sa mégalomanie".
L'auteur fait remarquer que "Naguère, les habitants du pays appelaient d'ailleurs les grottes de Ferrand Grottes des druides", tout en rapportant une phrase de l'article de Piganeau en la déformant dans le sens de son propos.
M. de Sede pense que "le nom des grottes que nous venons de décrire provient d'un nom de personne". Puis il nous rapporte que "Ferrand, culdée écossais (qui) passa les dernières années de sa vie dans une grotte d’Aquitaine" (SEDE (G. de), Saint-Emilion insolite, Bordeaux, Imprimerie Pujot, 1980), tout en proposant l'hypothèse de René Guénon: "Il n’y a rien d'invraisemblable à ce qu'il y ait eu derrière l'Eglise culdéenne un ordre non plus religieux mais initiatique". Ce qui conduit à l'hypothèse suivante: "La grotte de Ferrand est-elle ainsi nommée parce que ce fut celle où l'ermite culdéen Ferrand finit ses jours ?"
Ferrand devient ainsi « un ancien lieu d'initiation» orné des principaux symboles maçonniques: « chaire », « étoile flamboyante », « acacia », « pierre cubique ». "Si ces grottes avaient été consacrées par les druides, il ne serait pas étonnant que l'ermite culdéen de Ferrand les ait choisies pour retraite. Puis, les siècles ayant passé mais la tradition demeurant, les grottes de Ferrand durent servir de lieu d'initiation à des francs-maçons de rite écossais".
Cette thèse fantaisiste a eu un certain crédit puisqu'elle est sympathique à M. Michel Audoin et qu'un journaliste l'a relatée (DEMPSTER, Histoire ecclésiastique d'Ecosse, 1628). Ce dernier ne présente pas même Bétoulaud comme un hypothétique constructeur des grottes. Il réactualise le problème et se demande si l'on n'y pratiquerait pas encore "à l'écart des curieux une magie venue du fond des âges."
Cette thèse fantaisiste rassemble tous les lieux communs de la littérature fantasmagorique: druidisme, ésotérisme, franc-maçonnerie... et c'est regrettable, Reste cependant que le problème posé de l'existence hypothétique de quelque cavité ou souterrain antérieur à 1'« édification» des grottes est intéressant. Stéphane Rousseau (Article de D. TERS dans le journal Sud-Ouest du 11 août 1983) précise que "certains détails font croire à l'existence d'un souterrain antérieur à l'époque du creusement du labyrinthe. Ainsi, par exemple, une galerie ovoïde (voir schémas), de largeur d'homme, creusée en diagonale nord/sud, et qui débouche sur l'extérieur". (Dans l'axe du bassin d'eau). Bétoulaud lui-même ne disait-il pas dans un recueil poétique que l'''on trouvait, au bas d'un creux mal ébauché, des sauvages Sylvains un asile caché."
L'occupation du lieu semble ancienne. Témoins ces trouvailles archéologiques faites au bas de la colline au siècle dernier: une sépulture d'enfant contenant une agrafe wisigothe, et préhistorique: des grattoirs, lames et outils divers en silex probablement de l'Aurignacien trouvés en 1950 sur le site et exposés au musée de Saint-Emilion.
Il est d'autre part vraisemblable que les grottes aient eu une quelconque utilisation après la mort du poète Bétoulaud. Je pense à cette inscription latine gravée dans la pierre: « OLIM ET MUSIC ET OTIO, NUNC AMORI ET VENERI » (Autrefois, on cultivait ici les loisirs et les muses; on honore à présent l'amour et Vénus).
CONCLUSION
Nous découvrons en définitive que chaque auteur a un certain mérite. Emilien Piganeau a eu celui de « révéler » le site. Sans le Vicomte de Roquette-Buisson, nous ne connaîtrions que partiellement les grottes telles que Bétoulaud les a conçues. Son témoignage a d'autant plus de valeur que sa source a depuis disparu. Vient ensuite chronologiquement Gérard de Sede, dont les propos, malgré tout sympathiques, ont contribué par une relative diffusion à faire connaître Ferrand. Quant à Michel Audouin, celui-ci a, avec le C.R.E.S., pratiqué sur le terrain de remarquables relevés topographiques. Restent les deux dernières publications: celle de Marc Favreau et de Stéphane Rousseau. Malgré les précédentes publications citées, ils ont su faire progresser la connaissance du site, et, pour la première fois, un article concernant Ferrand a dépassé le cadre régional.
Enfin, tous ont été séduits par ce monument qui se dégrade lentement et qui, d'aucun l'ont signalé, nécessite une sauvegarde. En effet, le calcaire s'effrite de façon inégale en divers endroits et les racines des arbres font par ailleurs éclater la roche.
(Il est a signaler également que d'autres grottes, sous la végétation, sont présente dans les environs - 500 mètres non loin de là - comme nous le montre la photos ci-dessous)